Chapitre 32 - Une parole partagée

42 13 2
                                    


Les vents continuent de venter, les éclaires d'éclairer, le tonnerre de tonner, mais la pluie... la pluie ne pleut plus...

Bouches bées, Amandine et Raphaël tendent la main hors de la dalle de béton au-dessus d'eux. Rien. Plus une goutte ne tombe, enfin si, au compte-goutte, et cela n'en fait pas beaucoup. Raphaël passe la tête, regarde le ciel du Dôme. Au coin de ses yeux, son sourire réapparaît. Un sourire qu'il partage immédiatement avec Amandine qui bégaie :

— Qué, qué, qu'est-ce qu'il se passe ?

L'orage est toujours là, un seul ingrédient est manquant. Trempé des pieds à la tête, le jeune homme sourit comme jamais il n'a souri. L'enchevêtrement des causes et des conséquences trouve toute sa cohérence : c'est donc à ça que sert sa machine. Sa machine, qu'il a actionnée tous les jours, et qui actionne à son tour une autre machine, qui en actionne encore, puis une autre, et cet ensemble fait fonctionner, d'une manière ou d'une autre, la pluie du Dôme. Et aujourd'hui, un petit ralentissement a causé une grande accélération au bout de chaine ; cet instant est un événement, un événement nouveau sous le Dôme : celui qui célèbre la vie. On peut tout aussi bien le faire sous la pluie, j'aime beaucoup la pluie. Mais dans le contexte, il fallait en cette heure, minute, seconde et battement de cil que quelque chose s'arrête pour céder le passage à l'essentiel.

« La machine Raphaël participe à un tout. Si l'engrenage n'est pas actionné, une partie de ce tout en sera transformé et avec lui le tout. Toi-même fais partie du tout, et donc avec lui, tu changeras »

Le jeune homme se souvient des paroles de H. — il ne sait pas qu'il s'appelle Honoré, son nom ne lui a pas été confié — et devant lui, il voit se dessiner un nouveau chemin, sa propre vie, son propre mouvement qui au croisement d'un autre chemin le conduira devant une porte dont il faudra trouver la clef.

La jeune femme le regarde, toujours plus étonnée.

— Dis-moi, qu'est-ce qu'il y a ? lui demande-t-elle.

Il aurait tant aimé lui dire, tout lui révéler, ne rien lui cacher, lui parler de ce qu'il a fait en ne faisant pas, lui parler de ce qu'il fera ensuite. Il ne lui dit que la plus vraie des vérités :

— Je me sens heureux.

L'étincelle dans les yeux d'ébènes du jeune homme vibre comme une étoile dans la nuit. Amandine ne peut s'empêcher de sourire à son tour, sans comprendre pourquoi, elle ne peut que rire à la suite de Raphaël qui devenu hilare, se met à répéter :

— Il ne pleut plus. La pluie s'est arrêtée.

S'en suit le besoin de le dire encore, comme pour s'en convaincre, s'en assurer, comme pour convaincre l'autre de cette réalité, comme pour justement mettre au défi cette réalité : ose, ose faire tomber les larmes encore une fois, vas-y, ose !

Une main devant la bouche, Amandine rit en regardant ce jeune homme trempé de la tête au pied qui tourne sur lui-même les bras levés vers le ciel criant qu'il ne pleut plus. Cette douce folie s'arrête aussi vite qu'elle est venue ; le jeune homme lève son visage vers le ciel, ferme les yeux puis prend une grande inspiration. Ouvrant de nouveau les paupières, il se tourne vers Amandine, il y trouve un trésor ouvert, un sourire offert et deux baisers cachés de chaque côté.

— Viens avec moi.

Raphaël tend une main vers la jeune fille aux yeux bleus.

— Et si ça recommence ? s'inquiète-t-elle.

— Aucun risque. Il ne pleuvra pas tant que je serai là.

Amandine ne sait rien de la chaine des causes et des conséquences, elle ne peut ça-voir ce qu'il veut dire par là. Toujours sous le porche, elle passe la tête pour regarder vers le Dôme. Le vent fuse dans la rue, la jeune femme entend les coups de tonnerre et la pluie tombée, ailleurs, mais ici, rien, pas une goutte. Elle redirige son regard vers Raphaël qui s'est déjà éloigné. Ne plus penser : ressentir ! Le mouvement, son mouvement, est de le rattraper. Le reste, tout le reste, n'a aucune importance, la vie doit continuer, cela fait partie du rite. C'est d'ailleurs pour ça qu'aucune boutique n'est fermée, que tout le monde se doit d'accomplir sa fonction. Tout le monde ? Il y a un petit gars qui n'a pas actionné sa machine, et heureusement sinon nous n'aurions pas assisté à cette chance et c'est une chance que cette machine n'assure pas l'évacuation des eaux, tu imagines un peu la catastrophe.

Pour autant que la vie doive continuer, la maxime ne pousse pas les habitants du Dôme à déambuler dans les rues, trempés jusqu'aux os. Pendant trois jours, chacun limite au strict minimum ses déplacements, aussi personne ne serait assez fou pour s'assoir à la terrasse d'un café, quand bien même la pluie se serait arrêtée.

Sous le vent et les éclaires, Raphaël chasse de sa main l'eau sur une table, sur deux chaises, et s'assoit, comme si de rien n'était, à la terrasse d'un café installé comme stipulé par les procédures lors des événements. Amandine le regarde faire, dubitative. Elle se décide à éclaircir ce mystère, ce mystère d'autant plus étrange qu'elle se souvient que, dans son rêve, la pluie a cessé dès qu'un aigle est apparu dans la tempête.

— Quel est le secret ? demande-t-elle en croisant les bras et faisant face à Raphaël.

— Le secret ? répète-t-il dans un sourire.

— Oui le secret. On dirait que tu l'as trouvé.

— Disons que je m'attendais à quelque chose, loin d'imaginer ce que cela pourrait être. Et il est arrivé ceci.

Il ouvre ses bras en croix, levant les paumes vers le ciel puis ajoute :

— Il ne pleut plus. Voilà le secret.

Amandine fait une moue. Raphaël sourit, il ne sait rien faire de mieux. Il lui montre le siège devant lui. La jeune femme finit par s'assoir devant le jeune homme. Au cas où il l'ignore, elle fait remarquer :

— Mais il doit pleuvoir normalement.

— Pourquoi le devrait-il ?

— Parce qu'il en est ainsi. C'est les événements, pendant trois jours, il...

— Et s'il en est autrement ? interrompt le jeune homme.

— Autrement ?

— Oui, autrement... On pourrait commencer par refuser de se demander pourquoi ce phénomène n'a pas lieu en ce moment, mais comment se fait-il qu'il n'en ait jamais été ainsi auparavant.

On ne saura pas si cette phrase est une invitation à poser la question, car pendant que ces paroles sont échangées, une col noir a ouvert la porte de son café, a passé un bras par la porte et a constaté incrédule qu'aucune goutte ne tombe sur sa peau. Elle a jeté un coup d'œil vers le ciel, a regardé les deux jeunes gens qui sont venus s'installer à la terrasse avant d'interrompre la conversation en criant :

"Venez à l'intérieur, il va pleuvoir."

Raphaël tourne son regard vers elle et lui dit :

— Deux cafés s'il vous plait, avec deux verres d'eau. Enfin... si tu veux un café ? ajoute-t-il à l'intention d'Amandine.

Elle acquiesce.

"Ce sont les Evénements !" proteste la serveuse qui n'a aucune envie de mettre le nez dehors.

La vie doit continuer, ajoute Raphaël avant de replonger son sourire dans les yeux d'Amandine.

Le rappel à l'ordre produit l'effet escompté. La col noir grimace, car elle connaît les obligations, elle ne peut y échapper. Quoiqu'il arrive, même sous un déluge de pluie, même sous les bourrasques du vent, la chaleur brûlante du soleil, le fracas assourdissant du tonnerre : la vie doit continuer.

La col noir quitte le pas de la porte, va derrière le bar, fait couler deux cafés, rouspète se doutant que les deux verres d'eau sont une provocation, comme s'il n'y en avait pas assez, et place le tout sur un plateau. Elle refait apparition derrière la porte vitrée. Même manège : elle ouvre la porte de son café, passe un bras, constate encore une fois, incrédule, qu'aucune goutte ne tombe sur sa peau puis lève les yeux vers le ciel du Dôme.Elle regarde les deux jeunes gens qui lui semblent parfaitement déréglés, et la voici marcher d'un pas rapide pour servir ces deux fous avant de s'en retourner tout aussi rapidement dans son commerce.

Une nuit parmi les étoiles [Roman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant