Faire semblant, ce n'est pas difficile finalement.
Il mime les gestes habituels, fait comme s'il appuyait sur le bouton, comme s'il tirait ce levier, poussait celui-là, comme s'il surveillait le niveau de pression. Il regarde l'aiguille. Il la voit pour la première fois ne pas se tenir à l'équerre. Il sourit. Son cœur tambourine. Il écoute, il observe, il attend surtout. Il attend que quelque chose se passe, quelque chose, n'importe quoi. Il s'attend à ce que sa machine vrombisse, tousse, suffoque, que de la fumée s'en échappe, que ça grince, que ça pète, que ça explose.
La rotation ralentit... C'est presque imperceptible, il est certain que les rouages tournent moins vite. Mais à part ça et l'aiguille qui n'est plus à l'équerre, rien... Il ne se passe rien.
— Décevant...
Et bien justement ! Tout est là, devant lui, ce rien, ce pas grand-chose, voilà le fait, la plus grande découverte qu'aurait dû faire Raphaël. Il s'en rendra compte plus tard : s'il ne se passe rien, c'est que tout peut arriver.
Mais la journée se déroule ainsi : la plus grande résolution de sa vie laisse place à la déception. Ça tourne moins vite ! Il reste un petit espoir qu'en bout de chaine ce petit ralentissement fasse une grande accélération.
— On verra bien.
Mains dans les poches, Raphaël suit les tunnels, traverse les allées mécaniques, pour remonter à la surface. Il arrive dans le hall du plus grand bâtiment du Dôme à 17h46 avec une minute de retard, comme d'habitude. Aujourd'hui est un grand jour, ça ne peut suffire. Alors il attend, il attend quelque chose, n'importe quoi, enfin surtout que passe une minute, une minute supplémentaire volée à la grande horloge. Il sourit en sortant du bâtiment.
Il est 17h47.
Les nuages l'attendent dehors, ils recouvrent le Dôme, ce qui n'est en rien de son fait. Ce gris est tout à fait normal. Il annonce le début des événements : trois jours de tempête sont à prévoir. Bientôt, le souvenir va commencer. Raphaël sourit encore. Son pantalon bleu tirant sur l'orage, et la veste bleue comme avant la pluie, vont parfaitement avec ce temps de fête qui n'en est pas vraiment une. Car il a une chose qu'il déteste : l'absence du soleil pendant trois jours.
Il décide de prendre le métro, ce n'est pas un temps à prendre l'air. Le jeune homme s'enfonce dans le ventre de la terre, encore. Il attend sur le quai, il pense. Un sifflement le fait revenir à lui, il vient de laisser passer un métro. Il se tape la tête en rigolant, comment peut-il oublier de rentrer dedans ? Il attend alors le suivant. Une fois arrivé, il attend ensuite que les portes s'ouvrent, que les citoyens sortent avant de rentrer, que les nouveaux voyageurs prennent place avant de se diriger vers une de disponible. Il s'installe.
— Excuse-moi.
La citoyenne qui lui fait face lève les yeux. Une col blanc. Le jeune homme offre un sourire au regard bleu qui le croise. Ils se croisent, se répondent. Oui ! il est sûr d'être certain de la voir sourire un instant elle aussi. Il est certain d'être sûr d'avoir reconnu ce mouvement des lèvres. C'est certain et c'est sûr, oui, ce n'était pas un mirage.
Assis, il plonge dans les yeux bleus devant lui jusqu'à en avoir le souffle coupé et de remonter à la surface et prendre une grande inspiration. Son corps s'est penché vers l'avant, comme sur le point de basculer, happé par un ciel ensoleillé et condensé dans un regard. Ces yeux... Il détourne le regard et sent contre son cœur, dans la poche intérieure de sa veste, le cadeau de H., ce livre qu'il avait déjà lu deux fois alors qu'il était en poste à ne pas actionner la Machine raphaël. Il le sort, lit le titre et le garde fermé, pour l'instant, sur ses genoux. Il regarde à travers la vitre-écran du wagon. Sur fond des recommandations données aux citoyens à l'approche des commémorations "La vie doit continuer, pour actionner les machines qui font fonctionner le Dôme qui protège la vie qui continue", Raphaël lit toute autre chose. Il regarde et sourit au reflet de la jeune femme aux yeux bleus.
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Une nuit parmi les étoiles [Roman]
Fiksi Ilmiah"Qu'importe que cela ait existé ou annonce ce qui existera, c'est une vérité dans laquelle tu es pris à partie. Tu ne peux y échapper, même si tu choisis de fermer le livre à cet instant. Fuir est une des solutions pour traiter ce qui nous dérange...