Il pense beaucoup Raphaël. "Tu réfléchis trop", lui dit-on. C'est qu'il agace à questionner autant qu'il pense, cela va généralement avec. Il veut comprendre, faire mieux, aller plus loin, trouver de nouvelles solutions et il voit quelles transformations pourraient êtes apportées.
Comme les autres machines, la sienne n'est pas parfaite, elle a ses petits défauts. Quelques mois lui ont suffi pour en faire un prolongement de lui-même ; c'est facile, lui non plus n'est pas parfait. Il sait quand elle est essoufflée, quand elle a soif d'huile, quand elle a chaud, froid, faim, lorsqu'elle veut se reposer, accélérer. Il connaît ses forces, ses failles et veut pouvoir les colmater.
Alors il a proposé quelques aménagements. "Ce n'est pas ta fonction", lui dit-on, et puis ses propositions sont trop zélées : "Si la Machine raphaël n'a plus besoin de Raphaël pour être actionnée, relancée quand elle s'arrête, réparée quand elle ne tourne plus rond, on n'a plus besoin de Raphaël."
— D'accord... mais ce serait un peu comme creuser un trou afin d'en récolter la terre pour reboucher le trou, creusé par un autre, dont la terre récoltée servirait à reboucher le mien ?
"Je ne comprends pas ! Et puis arrête avec tes questions, on dirait un idiot qui ne sait rien sur rien", disent les moqueurs. Mais eux, eux, que savent-ils ? Au moins, Raphaël sait qu'il ne sait pas. Chercher devenait son seul intérêt, car depuis toujours en quête, cela en devenait une obsession : « Qui suis-je ? »
"Tu es celui qui actionne la Machine raphaël" lui dit-on, comme s'il était lui-même cette machine qui porte son nom. Est-il lui aussi une machine, comme prolongement de celle qu'il actionne tous les jours ? S'il l'avait construite de ses mains, elle aurait pu porter son nom, oui, ça, il l'aurait compris, mais sinon, c'est complètement absurde. Et Raphaël ne peut se comprendre sans comprendre la mécanique dans laquelle il est pris, autant qu'il ne peut comprendre sa machine sans comprendre toutes les autres. Il a besoin de saisir ce qui le prend pour se saisir lui-même.
Aussi, il va à la rencontre de ce qui l'entoure. Il observe les rouages, va à l'écoute des autres machines, cherche à comprendre ce dont elles ont besoin pour bien rouler, il va à la rencontre des citoyens, col blanc, bleu et noir, ceux qui définissent les protocoles, ceux qui actionnent, ceux qui font tout le reste, ceux qu'il croise, ceux qu'il voit, les citoyens et citoyennes qui vivent comme lui sous le Dôme gigantesque, dans cette ville immense. Il ne faut pas se méprendre, il ne cherche pas un miroir, une figure dans laquelle il pourrait se mirer, non ! Il a déjà réfléchi à ça, il en connait le risque, en a éprouvé la tentation, il est si simple de se regarder soi-même, de voir en l'autre uniquement ce que l'on attend de lui, faire de l'autre un même pour s'y complaire.
À voir les machines fonctionner, il savait qu'un entremêlement parfait des engrenages n'offrait qu'une piètre illusion d'unité. Cela donnait une belle musique, c'était joli à voir, en apparence seulement. Car en permanence, il fallait veiller à remonter les machines, empêcher leurs mouvements afin de les synchroniser, et, en fin de compte, la mécanique n'était qu'une répétition d'un même mouvement. Le "chacun" n'existait pas, le "tout" était surplombant. Lui, il voulait son propre mouvement, un mouvement qui s'articule à celui des autres, il voulait une danse, une contradiction, une force qui répond à l'autre, qui pousse ou qui tire, afin de connaître sa propre force savoir si lui pousse ou tire. C'est dans la différence qu'il veut se retrouver.
Et dans sa vie faite de rouages et d'engrenages qu'il ne comprend pas, Raphaël ne peut s'empêcher de penser, de rêver éveillé. Empêchez un Homme de rêver et il deviendra fou. C'est peut-être pour cela que l'Ombre est si présente dans le monde d'Amandine et de Raphaël. C'est parce que les gens ne rêvent plus et ne pensent plus que l'Ombre s'empare de leurs cœurs. Rassures-toi, il n'y a pas de gris autour de Raphaël, aucune Ombre, juste des couleurs et le soleil, un sourire ce soleil. Car confronter à la limite de la réalité, lui, il rêve en pensées.
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Une nuit parmi les étoiles [Roman]
Ficção Científica"Qu'importe que cela ait existé ou annonce ce qui existera, c'est une vérité dans laquelle tu es pris à partie. Tu ne peux y échapper, même si tu choisis de fermer le livre à cet instant. Fuir est une des solutions pour traiter ce qui nous dérange...