Chapitre 1 - Le vol

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C'est une journée semblable à toutes les autres journées qui l'attend ; un matin qui, comme les autres matins, commence par un vol : le vol du repos, de la paix et de ses rêves. C'est ce qui lui est arraché lorsque vrombit la sonnerie du réveil.

Il est sept heures.

La paupière s'ouvre, la lumière entre par la pupille. Les connexions nerveuses se répondent et le signal électrique parvient jusqu'au cerveau : "c'est le matin", enfin, c'est ce qu'il nous dit. Comment savoir si tout cela n'est pas un rêve dans un rêve ? Un rêve qui se répéterait jour après jour, un cauchemar se reproduisant encore et encore, et ce cauchemar recommencerait toujours par la sonnerie du réveil : "tutututute, tutututute, tutututute".

Il faut se lever.

Amandine pose la main sur le bouton déclencheur, le réveil se tait. Quoi qu'il en soit, le larcin est déjà commis ; le sommeil et les rêves ainsi arrachés ne seront jamais rendus, on ne trouvera personne à qui s'en plaindre, personne ne comprend ces choses-là et, de toute façon, on ne saurait véritablement faire le compte des choses dérobées ni évaluer la valeur de ce qui manque, et encore moins l'ampleur du vide laissé, on sait pourtant que c'est précieux, sans prix.

Dans la chaleur de ses draps, allongée sur le dos et les yeux grands ouverts, Amandine regarde le plafond. Les volets automatiques de sa chambre sont ouverts. C'est le matin. Il faut se lever. Le réveil sera là pour le lui rappeler. Elle compte dans un murmure :

« 5, 4, 3, 2, 1... »

"tutututute, tutututute, tutututute."

Ses pieds se posent sur le sol. La sonnerie se répètera tant que les capteurs de poids sous le sommier continueront de détecter sa masse. La dalle de béton glace la plante de ses pieds. Amandine ne peut de toute façon y échapper. Elle se lève.

La sonnerie se tait.

Silence.

Ton œil s'est ouvert dans un autre temps, un autre espace ; un autre monde qui pourrait te rappeler le tien, ou inversement, telles deux mémoires qui, face à face, s'échangeraient leurs souvenirs jusqu'à l'infini.

Et je me souviens ; Amandine m'apparait pour la première fois dans un éclat de lumière. Une forme d'abord, obscure, en surimpression d'un soleil immense. La silhouette se rapproche, lentement. Impossible de bouger. Elle vient à ma rencontre tandis que la lumière se fait plus douce. Ses cheveux dansent au rythme de ses pas, ses traits se précisent, et ce sont surtout ses yeux qui attirent mon attention. Et je plonge dans l'océan de ses yeux, une eau calme et azurée ; je vole dans un ciel et découvre les aventures d'un Ange, des Faiseurs d'étoiles, du Chasseur de vents, d'un Loup et j'écoute la délicieuse légende de la Bienveilleuse. Les images se déversent en moi, me submergent, je me réveille.

Le cœur battant, je la sens encore, toujours depuis ; Amandine est là, partout où je dépose mon regard. J'ai l'impression de l'apercevoir à chaque coin de rue, de l'entendre dans chaque conversation. Impossible de me concentrer, impossible de faire ce que je dois faire, car voilà que m'apparaissent des choses insoupçonnées, des choses qui pourtant ont toujours été là. Comme... Comme si enfin, je détenais la clef qui ouvrait les trésors que renferment les choses pauvres de ce monde, libérant les couleurs qu'elles retenaient, ou libérant mon cœur pour accueillir enfin tout ce qui fut jusqu'alors ignoré ou bien refusé. Je ne sais pas. Le monde s'en est retrouvé transformé, sans que je comprenne comment, sans que je comprenne pourquoi. À moins que ce soit moi qui ait changé. Je ne sais pas.

Ce n'était pourtant qu'un rêve. Ce n'est pas important un rêve. Ça ne peut vous impacter ainsi. Ça s'oublie vite. D'autres viennent le remplacer. Sauf s'il se répète. Il peut être bon, à ce moment-là, de l'écouter. On cherche parfois à y retrouver lorsqu'il est bon, ou ne plus jamais s'y confronter. Moi, j'y replonge, nuit après nuit. L'étrangeté devient familière. Comme une visite, comme un rendez-vous. Amandine est là. Elle m'attend. Un sourire, un rêve. Intense et beau. Triste aussi. Mais empli d'espoirs. Elle me décrit et je vois son monde ; elle me raconte tandis que je me dilue dans son récit ; elle me montre alors que je refuse de voir... Trop d'échos, trop de couches se superposant les unes sur les autres, qui ricochent, qui se répondent, qui se reflètent et traversent la surface, plongent au-dedans, plongent au dehors. Tout se confond. Rêve après rêve j'avance un peu plus et découvre des histoires contenues dans sa propre histoire, des histoires qui l'accompagnent, qui l'ont traversée, qui continue leurs mouvements en son corps, en ses gestes.

J'avance, jamais dans l'obscurité, si bien que ma nuit devient un autre jour, l'illusion devient réalité, une réalité au-delà de l'histoire qui m'est conté, au-delà de l'existence d'Amandine et celles qu'elle aurait pu croisées, au-delà des visions et des sensations dont je sais être illusion, au-delà même de mon incarnation dans cette réalité qui n'est pas la mienne et dont je refais l'expérience aujourd'hui. Je crains de m'être perdu, incertain de m'être retrouvé et me demande, tandis que j'écris, si ce monde-là, finalement, n'est pas celui dans lequel je vis...

Tant de questions, peu de réponses. Je continue de les chercher en interrogeant le sens et la véracité de cette parole, cet avertissement, quand bien même Amandine me répétait avant de me quitter :

Qu'importe que cela ait existé ou annonce ce qui existera, c'est une véritédans laquelle tu es pris à partie. Tu ne peux y échapper, même si tu choisis defermer le livre à cet instant. Fuir est une des solutions pour traiter ce quinous dérange, demande-toi seulement si c'est le bon choix...

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Si elle avait été là, je suis certain qu'Amandine aurait dit la même chose, mais elle n'est pas ici en ce moment. Elle est debout, dans sa chambre, ses pieds nus au contact d'une dalle de béton glacée. Sa présence aurait pourtant été une si belle surprise.

Je prendrai sa place pour raconter son histoire, à ma manière, un peu brute parfois, avec ce que j'ai su comprendre et je veillerai à ne pas être à côté de ce qui m'a été confiée. Probable qu'Amandine aurait dit que tout commença après une nuit parmi les étoiles, ce sera mon premier écart : je ne suis pas tout à fait d'accord avec ça. Pour moi, cette histoire commence bien avant. Mais encore faut-il que j'arrête mes digressions. Je sais bien que nous avons le temps, mais quand même... reprenons :

Une nuit parmi les étoiles [Roman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant