Dans le couloir, des citoyens passent la porte de leurs appartements : quart de tour sur la droite pour les uns, quart de tour sur la gauche pour les autres, tous se dirigent ensuite vers l'ascenseur. Les portes s'ouvrent, on prend place. Les portes se ferment. Le mécanisme se met en route.
Amandine lève la tête. Elle regarde le plafond de la cage qui la fait descendre, imagine les rouages derrière, roues, poids, contrepoids, poulies et câbles d'acier. Elle ne comprend pas comment cela fonctionne. Elle ne sait pas qui actionne la machine. Ses yeux se déposent autour d'elle. Des citoyens et citoyennes, des cols blancs, des cols bleus, des cols noirs, ils scrutent l'écran devant eux. Amandine baisse la tête.
Comme chaque matin, elle aurait aimé croiser un regard qui, comme le sien, porterait attention par autre chose que cet écran. Parfois, un tel miracle se produit : on se regarde, on se sourit, s'adresse un signe de la tête, ou bien on se dit « Bonjour ». Parfois, on nous répond, d'autres fois, non, on en reste à cette simple salutation, les lèvres pincés dans un sourire un peu forcé, un peu gêné. Il manque si peu de choses pour que cela soit véritable, un petit rien, un petit rien qui fait tout. Parce qu'Amandine sait que la parole n'est pas échangée lorsque l'on reste en surface, elle est à sens unique, superficielle. Rien n'est à espérer des bavardages, les mêmes que sur les écrans, les mêmes partout, tout le temps, pense-t-elle.
Comment peut-on reconnaître la parole vraie ? Amandine lit ce qui anime le regard des citoyens ; elle en remonte le fil et s'immerge dans les couleurs pour savoir si une étincelle brille au fond des cœurs. Elle voit si une flamme y brûle, et reconnaît, en fonction de son intensité, ce qu'ils ont pris : énergisantes ou pills ou autres types de prescriptions. Elle sait différencier le vrai du faux, l'être et le paraître.
L'ascenseur ralentit. On ne le perçoit presque pas. C'est une sensation à laquelle la jeune femme a pourtant appris à faire attention. Le souffle reste en suspension quelques instants tandis que le corps s'alourdit. Elle préfère lorsque l'ascenseur monte, se sentir prête à s'envoler quand la cabine s'immobilise, décoller une fraction de seconde sans pour autant quitter le sol.
Les portes s'ouvrent. Dans le calme, l'ascenseur se vide et Amandine suit le groupe qui traverse le hall de l'immeuble. La foule, d'un même bloc, quitte le bâtiment, sort dans la rue. Ici, on peut voir sortir de tous les halls d'immeubles des vagues de citoyens au col blanc, bleu ou noir. Tous ne vont pas dans la même direction. Chacun va où on l'attend.
Amandine poursuit sa route. Elle lève la tête. Des méca-volants sont accrochés à leurs trajectoires sous le ciel du Dôme. Les yeux perdus dans les nuages, à compter ce qui aurait dû être des cerfs-volants, la jeune femme ne remarque pas qu'elle dévie de quelques centimètres sur la gauche. En face, marche un col noir qui, semble-t-il, ne voit pas, lui non plus, qu'Amandine se déporte sur sa ligne de marche. Si aucun des deux ne s'en rend compte, ils finiront par se rentrer dedans...
« Ô pardon, pardon, excuse-moi, dit Amandine. Je ne t'avais pas vu. »
Le citoyen au col noir aurait pu s'excuser à son tour, ou répondre : "Ce n'est pas grave", ou même se sentir en colère contre cette fille qui ne suit pas sa ligne de marche. Il n'en est rien. Ni excuse, ni réponse, ni colère. Aucun écho ne résonne à la suite du choc entre leurs deux corps. Le col noir reprend tout bonnement sa marche en contournant Amandine. La jeune femme répète : « Excuse-moi » en restant sur une ligne qui n'est pas la sienne. Elle regarde l'autre s'en aller, forçant les piétons à faire un écart afin de poursuivre leur route sur la ligne de marche qui est la leur.
Amandine soupire. Aucun regard, aucun mot, aucune émotion. La boisson n'a pas encore fait effet. Il est trop tôt. Les corps sont éveillés, mais dans ce monde-là, celui d'Amandine, les cœurs ont besoin de temps et d'aide pour s'ouvrir à la vie.
En attendant, elle fait de la magie.
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Une nuit parmi les étoiles [Roman]
Ficção Científica"Qu'importe que cela ait existé ou annonce ce qui existera, c'est une vérité dans laquelle tu es pris à partie. Tu ne peux y échapper, même si tu choisis de fermer le livre à cet instant. Fuir est une des solutions pour traiter ce qui nous dérange...