Chapitre 2 - Brouillard

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C'est le matin, un matin comme les autres.

Amandine ouvre son placard pour y trouver ses vêtements. Tous les mêmes. Des chemises blanches, quatre. Des vestes grises, presque beiges, et des pantalons gris, presque beiges aussi ; quatre chacun. La jeune femme enlève sa tenue de sommeil pour se glisser dans celle du jour : une chemise blanche, un pantalon gris, presque beige et une veste grise, presque beige aussi. Habillée de sa fonction, elle marche jusqu'à la fenêtre, accomplit son rituel matinal.

Le soleil s'est allumé quelque temps avant ses sujets. Amandine regarde le vol d'un méca qui s'élance dans l'espace de liberté qu'on lui a imposé. La machine-oiseau dessine des cercles sous le ciel du Dôme avant de descendre en spirale et se poser sur le rebord de la fenêtre. Amandine ne bouge pas. Elle contemple le méca-volant : son bec de métal, son œil de fer, ses rouages tournant, vibrant, actionnant chaque articulation dans des clappements et crissements métalliques. Le méca pousse son croassement en deux notes synthétisées, déploie ses ailes et s'élance de nouveau. Il reprend sa trajectoire programmée. Amandine ne quitte pas des yeux le corbeau mécanique qui s'envole dans l'aube semblable à toutes les aubes, une aube qui pourtant, sans qu'elle le sache, sera différente demain.

Le regard lancé par la fenêtre à la poursuite de l'animal artificiel, la jeune femme aux yeux bleus soupire. Une pensée s'envole elle aussi, une pensée qui cherche comment briser ce ciel, faire une percée qui lui permettrait de s'échapper. À l'instar de ses rêves, cette idée lui est arrachée. Une voix la ramène à elle, lui rappelle la lourdeur de son corps, ici, planté devant la fenêtre, debout sur la dalle de béton glaciale :

 Une voix la ramène à elle, lui rappelle la lourdeur de son corps, ici, planté devant la fenêtre, debout sur la dalle de béton glaciale :

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Le refrain a changé. Avant c'était l'énergisante Alkalyne qui vous donnait l'heure. Amandine ne se souvient plus du slogan. Il vous restait pourtant dans la tête, était sur tous les écrans, dans toutes les bobines. Peu importe, se dit-elle. De toute façon, rien ne change.

Amandine quitte sa chambre. En son absence, le lit sera refait, sa tenue de nuit remplacée par une nouvelle. Les cols noirs feront leurs œuvres. Dans la cuisine, Amandine retrouve Père et Mère assis autour de la table à manger. Un verre d'énergisante à la main, une assiette devant eux, du pain de vie comme repas, ils se restaurent.

Une même assiette et un même breuvage attendent la Fille, à sa place. La jeune femme s'assoit, sans un mot, sans un regard, sans un sourire échangé. Le jour s'est levé de la même manière que les autres jours. Enfin, cela dépend de l'humeur de Père et de Mère. Cela dépend si Père et Mère ont eu leur séance avec l'Intermittent du bonheur récemment ou pas, s'ils ont pris des pills au lever ou bien avant de s'endormir. Ce matin, ils sont dans l'Ombre.

Amandine mange le pain, mais ne touchera pas à la boisson. L'écran aspire les regards de Père et Mère. Amandine ne regarde pas, sans cligner des yeux, elle ne regarde rien. Le Pain consommé, elle prend sa boisson et la vide dans l'évier avant d'ouvrir le robinet. L'eau coule. Elle la contemple, elle tombe, se mélange au liquide verdâtre de l'énergisante jusqu'à ce que la substance ait complètement disparu. Un filet d'eau continue de couler.

Écoute et regarde cette eau claire et transparente laver, emporter avec elle la maudite substance pour ne laisser que la pureté de son essence. Imagine un ruisseau, imagine l'eau serpenter entre des arbres. Imagine une cascade d'où jaillit la source. Goûte à cette douceur, sens-la glisser sur sa langue, se déverser dans ta bouche. Bois à même le filet d'eau fraîche.

Une goutte perle à la commissure de ses lèvres, puis ruisselle le long de son menton. Amandine se redresse avant de déglutir. Sans un mot, sans un sourire, elle se tourne vers ses parents. Leurs yeux fixés sur l'écran, ils mangent et ils boivent ; dans près de trente minutes, l'énergisante fera effet et rallumera une lueur dans leurs pupilles. Amandine se dirige alors vers la porte de l'appartement. La main sur la poignée, elle prononce ces mots, comme tous les matins :

« Belle journée, Mère. Belle journée, Père. À ce soir. »

Et comme tous les matins, Amandine attend, elle espère une réponse. Parfois, il y en a une, d'autres fois non ; aujourd'hui, il n'y a rien. Elle ouvre la porte, sort de chez elle.

Il est 7h30.

Une nuit parmi les étoiles [Roman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant