Chapitre 37 - Les tournesols

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Dehors, la pluie tombe.

Mais pas pour nous : elle nous passe au travers.

Sorti du ventre de la grande horloge, au pied de la plus immense tour de béton, la gravité a lâché sa prise. Nous nous élevons de quelques mètres au-dessus du sol, au-dessus des lignes de marches, et nous suivons notre ligne de vol.

Nous nous élançons et volons entre les immeubles de béton. Passons les croisements, passons de district en district, tournons à contre sens des vents de l'immense horloge. Levons nos yeux vers la cime des tours grises de béton, ces aiguilles plantées, immobiles, et nous pourrions, comme elles, nous élever vers le ciel, ce faux ciel orageux, celui du Dôme.

Nous pourrions monter jusqu'au plafond dont la hauteur, peu importe ses dimensions, n'en est que trop basse, trop écrasante. Nous pourrions y trouver la clef de voûte, pousser ou tirer la pierre qui maintient le tout. Nous pourrions être cette balle qui viendrait le percuter, le traverser ou seulement le fissurer, une fissure qui se répandrait tout autour du point d'impact et sentant le poids de son propre poids, le Dôme céderait sous lui-même comme une fine couche de glace. Nous pourrions...

Mais dans notre envolée, nous nous arrêtons et faisons face à une fenêtre, au 42ème étage du Centre des Protocoles. Nous nous figeons face une lueur qui rayonne dans une immense salle où cinquante cols blancs définissent et redéfinissent les standards et protocoles de la zonagri B7. Nous restons à la fenêtre pour contempler, de loin, une jeune femme dont les yeux propagent de la lumière, une lumière bleue, ressemblant à un ciel ensoleillé tacheté de quelques nuages blancs.

*

"Merci, infiniment ! Le recalibrage du moteur à énergie thermo-cinétiquo-compact-à-radiation-faible est tout simplement brillant... c'est brillant !"

Et c'est peu dire ! La col blanc qui prononce ces mots à l'intention d'Amandine ne peut détacher ses yeux du faisceau bleu clair que diffuse le regard de son interlocutrice. C'est brillant en effet, et bien plus encore.

Amandine n'a pourtant rien fait de spécial sur ce dossier pour lequel est reçoit pourtant de beaux éloges. C'est qu'ils ne sont pas légion dans ce monde-là, et à croire qu'il est devenu fou, depuis ce matin, les éloges se sont mis à tomber sur Amandine, en déluge.

Tout le monde la regarde, tout le monde lui sourit, comme si une même maladie s'était emparée de chacun des citoyens croisés depuis ce matin. Honoré fut le premier à en présenter les symptômes. D'abord : une apparition soudaine de frissons, puis de palpitations pouvant aller jusqu'à ressentir une certaine douleur dans la poitrine, une contraction spontanée des muscles zygomatiques, une élévation de la lèvre supérieure et son attraction vers l'extérieur, et une exposition des dents. Ensuite : une voix tremblante exigeant de se racler la gorge plusieurs fois pour retrouver la bonne intonation. Enfin : un sentiment d'hébétude et d'euphorie. Parmi d'autres manifestations répertoriées : une sensation d'éblouissement, une somnolence soudaine, une légère fièvre avec une impression de vertige, gain d'appétit et légèreté.

Au Centre de consultations, Honoré passa donc par la salle d'attente, encore vide à cette heure, avant de voir Amandine, de dos, devant la porte de son office. Lorsqu'elle tourna son regard vers lui, il ne put s'empêcher de la dévisager et de sourire. Il tenta de lui parler, mais se retint tant il ne reconnaissait plus sa propre voix. Il ne dit plus un mot et lorsqu'elle demanda une ordonnance pour accéder au Vivier du district C-Douze ce soir, Honoré remplit docilement le bout de carton rouge, imposa son tampon, sa signature, et tendit la prescription en la regardant droit dans les yeux, et en souriant bien sûr, comme s'il était illuminé.

Une nuit parmi les étoiles [Roman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant