#8 Alie

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Aujourd'hui, c'est lundi, je ne travaille pas. En temps normal, j'aime en profiter pour aller marcher le matin, ou faire un peu de vélo près du port pour regarder les bateaux. Ce sont toujours les mêmes, mais j'adore les observer. Les bateaux me font penser à la liberté, l'évasion et l'espoir. Ils me permettent de voyager en pensée, juste le temps de quelques minutes. Mais comme il pleut ce matin, je vais devoir changer mes plans, et vu que je n'ai pas non plus de courses à faire pour Evelyn, je m'ennuie...

If I were a boy de Beyoncé résonne dans ma minuscule salle de bain pendant que je suis sous ma douche. Je chantonne comme souvent. C'est d'ailleurs la seule chose qui me détende vraiment. Le seule moment où je ne pense à rien. La musique a tant de pouvoir sur moi...

Je démêle mes cheveux en me regardant dans le miroir et je repense à cette "dispute" avec Jake. J'aurais pourtant dû le voir venir. Mais j'ai voulu croire que lui était peut-être différent. Qu'il n'était pas comme Ian Fleming, ce pervers qui m'a saoulé quand j'avais dix-sept ans. Ou encore comme Dave, le dernier mec avec qui je suis sortie, il y a deux ans, qui m'avait promis la lune et qui ne m'a offert que des bleus et bien pire que le souvenir de Ian. Putain d'enfoiré ! Ce connard n'a pas apprécié que je me refuse à lui un soir où il avait bu. Beaucoup bu. Ça l'a mis hors de lui comme jamais. Mais qu'est-ce que je devais faire ? Lui céder ? Sûrement pas ! Mais quand j'y repense, je me dis que j'aurais quand même pu m'épargner quelques coups si je n'avais pas tant lutté contre lui. Voilà pourquoi je suis distante avec les hommes. Ils m'ont tous déçu de plusieurs manières alors comment le croire différent des autres ? Maman, pourquoi n'es-tu pas là ? Si elle avait été près de moi, elle m'aurait dit de sourire et m'aurait chanté une chanson pour me remonter le moral et oublier toutes les personnes qui ne méritent pas qu'on se prenne la tête pour elles.

En début d'après-midi, je décide d'aller voir Evelyn. Elle sait toujours me remettre d'aplomb. À sa façon. Je n'ai jamais besoin de lui raconter mes petits bobos ni de me justifier. Elle ne me demande jamais de m'expliquer sur les choix que je fais ou non. Elle ne me juge pas et ne le fera jamais.

***

Je m'installe dans le canapé près d'Evelyn, me blottissant contre elle sous son plaid doux et moelleux, comme on a toujours eu l'habitude de le faire. Elle regarde une émission sur les accidents de la route. J'ai horreur de ces trucs-là. Ça me rappelle trop mes parents et ça me fait mal. Je me demande comment est-ce qu'elle fait pour supporter ces images.

- C'est affreux ce qu'il se passe de nos jours... N'oublie pas de dire à ton père qu'il fasse attention ce week-end sur la route, me dit Evelyn les yeux toujours rivés sur la télé.

- Mamie, de quoi tu parles ? dis-je attristée.

- C'est bien ce week-end que tes parents vont à Warren n'est-ce pas ?

Merde...

- Tu ne te souviens pas mamie ?

Elle me regarde avec ce petit sourire que j'aime tant. Comment lui remettre ce souvenir douloureux en mémoire ? Comment effacer son beau sourire ? Je ne veux pas lui enlever son beau sourire.

- Ils sont partis à Warren il y a onze ans. Ils ne sont jamais arrivés là bas...

Evelyn me regarde l'air totalement perdue, en laissant ses lèvres se relâcher.

- Bien... Je les appellerai tout à l'heure alors.

Oh Evelyn... Moi aussi j'aimerai le faire. Entendre leurs voix, une dernière fois. Les entendre rire, parler, respirer simplement.

Cette émission stupide a dû faire remonter quelques souvenirs à ma grand-mère. Ça lui arrive de temps en temps. Ça me fait tellement de peine de la voir comme ça. Mon Evy... D'autant que ces temps-ci, ses pertes de mémoire sont plus fréquentes et remontent à des moments lointains. En général, elle oublie des choses qui sont assez récentes. Comme ce qu'elle a fait la semaine d'avant, la dernière fois où elle a vu le médecin, quand a-t-elle été chez le coiffeur... Mais je me rends compte depuis un moment qu'elle perd de plus en plus de souvenirs et ça me rend triste.

Pour ses médicaments, c'est Grace ou moi qui venons pour qu'elle ne les oublie pas. Il ne faut pas qu'elle en rate un. De plus, elle en a tellement de toutes sortes qu'elle pourrait facilement en zapper un. Entre les pilules pour sa maladie, celles pour son coeur, les autres pour la tension et j'en passe, ça me rassure qu'on soit deux à veiller sur elle. Et ce qui me rassure, c'est surtout qu'elle ne m'oublie pas encore.

Rentrée chez moi, je me décide à faire un peu de rangement. Mon studio ne fait que tente deux mètres carrés, alors ça ne durera pas bien longtemps. Ma cuisine est minuscule avec un petit comptoir derrière lequel j'ai installé mon petit canapé-lit. Mon écran plat est accroché au mur d'en face et ma ridicule table basse est au centre devant ma seule fenêtre. Donc, le ménage se fait relativement vite. Heureusement d'ailleurs. On va dire que ça n'est pas ma passion première.

Plus tard, je suis envahie par une vague de déprime. Ça m'arrive parfois. La seule chose à faire pour que ça me passe : la musique. Et la seule chanson qui me fait revenir sur terre, la préférée de ma mère. Celle qu'elle me chantait quand je n'allais pas bien : Feeling good. Et ma version préférée, celle de Michael Bublé.

"C'est un nouveau jour. C'est une nouvelle vie. Pour moi. Et je me sens bien"

Allongée sur mon canapé les yeux fermés, je fais tourner ces paroles pendant presque une heure avant de me sentir mieux. Je repense à ma mère qui me fredonnait ces paroles. Je me rappelle sa voix. Son parfum. Son sourire. Ses yeux débordants d'amour. Elle me manque. J'aimerais tant qu'elle soit près de moi pour m'aider à supporter la vie. Lui dire que je l'aime. La serrer dans mes bras. L'écouter chanter juste une fois.

Je crois qu'il y a eu trop d'émotions pour moi ces jours-ci...
Jake qui me trouble comme personne. À qui j'ai laissé une petite porte s'entrouvrir et qui n'a rien trouvé de mieux que de me la refermer en pleine gueule. À qui j'ai tenté de faire confiance. Une erreur que je ne referais pas de sitôt. Qu'est-ce que je croyais ? Et il y a aussi Evelyn qui m'inquiète ces derniers temps... Je n'ai plus qu'elle et j'ai peur du jour où elle partira elle aussi. Mais je ne dois pas me laisser engloutir par mes émotions. Je ne dois pas être faible.

Tout va bien aller Alie chérie...

Supplie-moi [Partie 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant