21e Bougie : Une ombre au tableau

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         Sébastien Oster traita son troisième verre de whisky de la même manière que les deux premiers : il termina sa course au fond de son estomac en un seul geste ample. Stuart assit en face de lui releva un peu ses lunettes avant de le resservir une quatrième fois, comme pour évacuer ce « problème ». Diantre, pensait l'avocat, que cet homme peut m'énerver ! Pourtant, il continuait de l'écouter déblatérer ses ennuis avec sa « petite protégée » sans sourciller. Parfois il méritait la reconnaissance pour sa sainte patience...

– Si encore elle comprenait son erreur ! Mais non ! À la première occasion, ce sera encore la première à faire les quatre cents coups !

          Sébastien Oster ne buvait quasiment jamais, pour ne pas dire qu'il n'avait touché que deux fois à l'alcool dans sa vie : à la mort de son père et après avoir tué son premier être humain. À cause de Lola, il se retrouvait donc à confirmer le vieil adage « jamais deux sans trois », de quoi l'agacer autant que les raisons derrière tout cela. Voilà bien la première « femme » qui parvenait à l'énerver assez pour lui faire oublier au moins l'un de ses principes. Il l'en détestait d'autant plus. Mais il l'adorait malgré tout...

– Je suis pathétiquement paradoxale, gémit-il, le front appuyé sur le bureau de bois de l'avocat.
– Vous voulez enfermer un requin blanc dans un aquarium de salon, finit par lâcher Stuart, excédé de devoir tenir le pot de chambre.
– Ma Messiah n'est pas un requin ! C'est vous ! Sale avocat ! En plus, vous savez jouer la comédie, baragouina Sébastien sur un ton en dent de scie.
– Merci d'oublier cela, je vous prie, répliqua l'intéressé de son ton impassible.

          Stuart contemplait l'homme assis face à lui de son visage sombre. Voilà bien la première fois qu'il devait gérer un ivrogne en plus de ses tâches habituelles. Et comme il détestait foncièrement cela, en plus d'un tas d'autres choses, il décida de régler cet embêtement à sa façon : via électrochoc.

– Vous feriez mieux de vous occuper de la sécurité de cet « oiseau rare » si vous voulez mon avis, monsieur Oster.
– Elle a une vingtaine de gardes surentraînés avec elle, marmonna Sébastien en mode bougon.

          Un soupir s'échappa malgré lui des lèvres de l'avocat qui perdait patience. Il commençait même à se demander s'il ne méritait pas une prime sur son salaire de ce mois, entre sa fausse comédie et « ça » !

– Votre gamine était suivie à son retour, elle l'a dit au chef Mens de l'escouade Bêta. Or nous n'avons trouvé personne de suspect et...
– Il est parti, c'tout, grommela l'ivrogne dans un souffle.
– « Il » ? Vous êtes idiot sous l'effet de l'alcool, monsieur Oster. Rien ne prouve qu'il s'agissait d'un homme.

          Stuart n'aimait que deux choses dans la vie : l'argent et la torture psychologique. Dès qu'il avait appris à parler, il s'amusait à créer des quiproquos dans sa famille afin de les maltraiter sur tous les plans. Il adorait cela, faire croire d'avoir toujours raison pour mieux duper son monde. Avec de telles capacités, il avait choisi naturellement le dur chemin de la législation, où malgré ses galères pour obtenir son diplôme d'avocat, il avait atteint la voie suprême.

           Son premier plaidoyer le rendit aussi célèbre qu'une rock star... à un niveau plus régional, certes, mais bien mérité. Il avait monté les échelons sociaux en torturant de nombreuses victimes au tribunal. Les juges l'avaient surnommé « le Cube » en référence à la méduse cube, l'animal marin le plus mortel de la planète, qui enroulait ses bras multiples autour de sa victime pour mieux l'empoisonner. Cela faisait aussi référence à une technique qu'il affectionnait particulièrement : enfermer lentement sa victime dans ses propres mensonges pour mieux l'étouffer. Sa seule faiblesse : les gens honnêtes.

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