63e Bougie : Victimes

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– Pra-saap en a décidé.
– Enduku ne connaît qu'une loi.

          La foule tout autour d'eux leur lançait parfois des regards curieux, souvent de reproches. Un espace conséquent les séparait, assez pour gêner ceux qui s'entassaient autour de l'estrade. La cérémonie allait bientôt atteindre son apogée.

– Que désire mon frère consacré ? roucoula mister K, dans un sourire suave.

          La présence d'un autre collègue, même s'il demeurait dans le camp opposé, ne devait pas poser de problème – techniquement. Le contrat demeurait sacré, même pour ceux extérieurs à celui-ci. Il n'existait qu'une possibilité pour que deux maîtres doivent s'affronter...

– Quel est ton titre ? Et ton maître ?
– Je n'ai pas à te répondre, grommela le comptable, vexé.

          Face à lui, les paupières de Kiryu se fermèrent à demi, tandis que son regard acier détaillait la mise de son interlocuteur.

– Tu connais les formules consacrées sans en comprendre le sens... Tu refuses de te nommer... Et comble du ridicule, tu sèmes la mort sans réfléchir à tes actes. N'as-tu donc rien appris ? Compris ? Qui est l'ignare qui t'a enseigné ?

          À mesure qu'il s'exprimait, le japonais vit l'autre se redresser, avant de lui lancer un coup d'œil assassin, pour finalement perdre entièrement son masque de bonhomie et toiser son interlocuteur d'une expression dure sans appel.

– Je vais me faire une joie de te considérer comme partie intégrante de mon contrat, toi, susurra K.
Gaichū (vermine).

          Son appréciation sortit naturellement de ses lèvres dans sa langue maternelle, ce que l'autre prit comme une insulte même s'il n'en comprenait pas le sens. Mais avant même qu'il n'ait le temps de réagir, Kiryu se volatilisa dans l'attroupement derrière lui pour mieux s'éloigner de la place. Comme prévu, sa cible fonça dans sa direction dans l'espoir de le rattraper.

– J'éloigne le responsable et je m'en occupe, Sam. Tiens-moi informé de votre situation, demanda-t-il dans son oreillette.

          Un grésillement lui répondit, puis le silence. Cela seul suffit à l'homme pour savoir que son compagnon avait bien reçu. Il pouvait se concentrer sur cet ersatz de l'Ordre. Ses longues foulées rythmées pouvaient l'emmener sur plusieurs kilomètres, mais il préféra une rue assombrie par les immeubles, non loin. Inutile d'aller au bout du monde, surtout s'il devait intervenir pour aider les autres avec ce problème de bougies...

– Ah ah, déjà fatigué, monsieur je-sais-tout ? s'enthousiasmait déjà son adversaire.

          Feignant de l'ignorer, il vérifia qu'aucune personne ne se tenait à sa fenêtre pour observer leur altercation. Encore heureux qu'il conservât un œil sur lui, car l'autre profita de sa visible inattention pour foncer droit sur lui, une main en avant. Désirait-il un combat à mains nues ? Dangereux. Kiryu connaissait presque toutes les astuces des apprentis pour vaincre leurs maîtres et l'aiguille cachée en faisait partie. Il dévia donc son poignet avant de réaliser un preste mouvement de son autre bras. Sa lame dissimulée dans sa manche émergea juste assez afin de lui érafler la joue ; une mise en bouche.

– T'es rapide, grommela K.
– Et toi trop lent.

          Des flammes dans les yeux du comptable l'avertirent qu'il n'aimait vraiment pas cette remarque. Il s'élança une seconde fois, une dague comme sortie de nulle part bien campée dans sa main. D'un calme olympien, Kiryu laissa la sienne se loger dans sa paume avec naturel et répliqua à ses coups sans se départir de son air sérieux qui agaçait tant ce type.

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