L'unique pot de miel dans un océan de mouches affamées se sentirait sans doute moins harcelé que Lola. Elle observait la foule agglutinée autour de la limousine avec une crainte mêlée de terreur, alors qu'elle sortait pour la première fois en un mois. L'annonce à la presse du « miraculeux Pierre Markford sauvé de la mort par une mystérieuse jeune fille » avait ressemblé à un tsunami par beau temps. Malgré le soutien du directeur Wang et des divers médecins qu'il avait invité ce jour-là, la France entière se soulevait en camps bien distincts, mais ceux qui en rigolaient remportaient la part du lion.
– Je dois vous informer que certains praticiens étrangers seront présents. Plusieurs Européens, quelques Orientaux, deux sud-américains, trois canadiens et surtout cinq venants des States dont au moins deux de renommée mondiale... Liz Grey et Greg Forest. Autrement dit, vous serez sans aucun doute pressée comme un citron.
La voix calme et apaisante de l'avocat résonnait dans l'habitacle de la voiture, juste assez fort pour surpasser le bruit extérieur. Ils venaient de parcourir moins de cent mètres malgré les agents qui s'échinaient à repousser les gens déchaînés. Beaucoup brandissaient des pancartes, la grande majorité illisible, les rares exceptions dénonçaient surtout Lola plus qu'elles ne l'encourageaient. Elle avait d'ailleurs entendu plus de vulgarité en quelques minutes que durant toute sa courte vie d'adolescente brimée. À côté, ses camarades de classe ressemblaient à une chorale du dimanche.
– Vous allez bien, mademoiselle ? demanda Sébastien de son air coincé par défaut.
Depuis l'irruption de Maggy dans son monde, son premier protecteur s'était renfermé telle une huître. Peu à peu, il prenait encore plus de distance avec elle : il ne l'appelait plus jamais par son prénom et préférait les « mademoiselle » au reste, il s'inclinait avant de sortir de la pièce où elle se trouvait et ne rentrait plus jamais dans sa chambre, et comble de tout, il ne lui faisait plus la morale. Pourquoi ce dernier point la peinait plus que le reste ? Elle détestait son ton condescendant et sa façon de lui dicter sa vie ! Pourtant... Oui, voilà. Ce côté paternaliste lui manquait d'autant plus qu'elle regrettait son père crescendo.
– Inutile de vous inquiéter pour moi, ronchonna-t-elle en réponse automatique.
Stuart ne broncha pas et reprit le résumé de leur journée comme si de rien n'était. Lola appréciait son air détaché et je-m-en-foutiste, il s'agissait de la seule personne à la considérer encore comme quelqu'un de normal. À contrario, tout le reste de la population du manoir commençait à partir en live. Depuis le retour du fils prodigue à la maison, monsieur Markford la déifiait, ainsi que la majorité des employés. L'autre moitié n'osait tout bonnement plus l'approcher pour une raison qu'elle ignorait – et que personne ne se risquait à lui avouer. Même Maggy conservait quelques distances sur demande express de son patron. Donc pour conclure, elle se retrouvait seule. Ou presque.
– Il serait préférable que vous pensiez à autre chose, annonça Sébastien d'un ton bienveillant.
Malgré le fossé qu'il continuait de creuser tous les jours entre eux, monsieur Oster réussissait toujours à la comprendre mieux que quiconque. Il allait jusqu'à battre Maria d'une bonne longueur à ce petit jeu – au grand damne de cette dernière. Il savait donc qu'elle luttait contre l'isolement intérieur, mais ne faisait rien pour le combler. Et Lola se doutait déjà du « pourquoi » ; il la testait, la poussait à bout. Il voulait l'aider à anticiper l'avenir et l'effroyable solitude qu'elle risquait de devoir subir dans les années à venir.
– D'abord je dois convaincre les meilleurs médecins du monde que je sais guérir, mais demain, qu'est-ce que je serai obligée à faire ? Convaincre les militaires que je sais arrêter des obus en plein vol ? C'est ridicule, grommela-t-elle d'un air renfrogné.
– Mieux vaudrait conserver ce détail-là entre nous... Comme une carte maîtresse.
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Messiah
SpiritualLola se réveille après un coma d'un an dont personne ne s'attendait à la voir émerger, sauf sa mère. Sa vie semble reprendre un cours normal, jusqu'à ses 18 ans, où elle se découvre des pouvoirs. Désireuse d'être "normale" elle va les dissimuler, ju...