58e Bougie : Naufrage

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          Le père disparu de Lola venait d'apparaître devant lui, comme s'ils avaient pris rendez-vous. Sébastien l'avait déjà vu sur de nombreuses photographies, que ce soit sur son dossier ou sur l'album que conservait Juliette dans leur premier appartement. Au quartier général, dans ses quartiers privés, Messiah conservait  l'une d'entre elle sur la table basse du salon. Dessus, elle se tenait aux côtés de ses parents et toute la famille souriait avec gaieté.

– Bonjour, monsieur Oster, reprit le nouveau venu.

          Yann Becquerel, présumé mort, enterré peu avant l'accident de sa fille, se tenait là, face à lui... Que ce soit sa femme ou elle, aucune des deux n'avait jamais rien révélé à Sébastien. Seule la fois où sa protégée avait eu de la fièvre, elle lui avait avoué avoir revu son père. Il pensait à cette époque qu'elle avait déliré à cause de la température. A présent, serait-ce son tour ? Son interlocuteur continuait de sourire et d'attendre, comme s'il savait exactement où l'esprit de l'ancien agent le menait ; loin, très loin.

          Après un long silence, Sébastien arrêta de fixer Yann dans les yeux pour mieux détailler sa mise : chemise bleue, pantalon noir, chaussures de ville. Rien dans ses habits ne dénotait de changement. Seul un long bâton en bois dans sa main, enrubanné au bout d'une sorte de ruban moiré, paraissait déplacé. Une arme ? Peu probable. Il voyait mal l'ancien scientifique accepter un quelconque engagement militaire. Son allure représentait plus celle du pèlerin...

          Cet homme était mort. Lola et lui se trouvait dans un plan d'existence bizarre qu'il avait déjà du mal à concevoir comme réel. Sébastien se sentait un peu dépassé par les événements. Tout s'envenima encore plus lorsque Yann décida de relancer à nouveau la conversation.

– Je me doute que vous ne vous attendiez pas à me voir. Moi-même, j'ai été étonné, voyez-vous, j'avais paramétré une autre destination à ma porte, mais, contre toute attente, je suis arrivé ici... Décidément, la Vallée s'amuse toujours beaucoup, hein ?

          Do you want a cup of tea with your fucking Easter egg cake ?*

          L'esprit de Sébastien commença fortement à dériver vers la folie. Le père de Lola lui parlait-il réellement comme s'ils allaient goûter autour d'un verre ? Ses main se levèrent vers lui dans le geste assez explicite du temps mort.

– Vous. Êtes. Mort, articula-t-il avec moult mouvements de main supplémentaire pour bien faire passer le message.
– Oui, confirma l'interessé, d'un air entendu.

          Yann Becquerel souriait toujours...

– Mais...

          Frustré et indécis, Sébastien hoqueta de surprise à cette réponse aussi franche que rapide, avant d'ouvrir la bouche, mais hésita au dernier moment. Sa colère oscillait au même rythme que ses questions et son incompréhension totale de la situation. Face à lui, le père de Lola se retenait de rire pour ne pas le vexer encore plus. Il décida d'arrêter là ses taquineries.

– Je n'ai pas choisi ma situation de gaieté de cœur, vous savez. C'est juste que, parfois, il faut savoir faire le bon choix. Même si je regrette parfois ma vie d'avant... Ma famille, Pierre, mon travail... De son vivant, on se demande toujours ce qu'il y a après et puis... Une fois mort, notre ancienne vie nous manque. Pour ma part, j'aurais aimé pouvoir plus en profiter. Beaucoup d'âmes sont dans ce cas-là, aussi. Mon cher Oster, j'espère que vous saurez profiter de la vôtre... Hm...

         Sébastien le regardait avec des yeux agrandis, mélange de stupeur et d'interrogations à la queue leu-leu... A cet instant, Yann comprit que quelque chose n'allait pas et l'observa plus attentivement. Son regard porta une seconde sur sa fille, toujours immobile, à son compagnon, puis à l'enfant inconnu, silencieux et attentif. Ce dernier soupira et l'informa sans détour :

MessiahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant