1. Mémoires vives

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⚠️NOTE IMPORTANTE EN FIN DE CHAPITRE⚠️

27 juillet 2017

Un cauchemar. Voilà comment définir la situation actuelle à ses yeux.
Sa petite sœur, son sang, vivait un cauchemar et lui était tout bonnement impuissant pour l'en sortir, puisqu'elle ne réalisait pas l'ampleur de la situation.

Ce n'était pas faute d'avoir essayé de lui parler, rien n'y faisait. Ni les discussions diplomates et les mots consciencieusement pesés, ni la confrontation directe, qui s'était d'ailleurs soldée par des cris et un froid glacial instauré entre Leila et lui, ni sa tentative avortée d'oublier le problème en allant se dorer au soleil de Los Angeles.

Il avait beau retourner le problème dans tous les sens, Mohammed ne pouvait pourtant pas se résoudre à la laisser elle, sa toute petite sœur qu'il chérissait tant, aux mains de cet enculé qui lui promettait monts et merveilles pour ensuite la descendre plus bas que terre.

La voix de Leila argumentant que son mec ne faisait qu'avoir des mots durs avec elle pour « la remettre en place » mais que jamais il n'avait levé la main sur elle - tout au plus l'avait-il bousculé quelques fois - tournait en boucle dans sa tête.
Il aurait juré entendre sa mère, bien des années auparavant, tenter de trouver mille justifications à un mari et un père violent, ce qui leur avait valu à tous les trois une fuite précipitée en pleine nuit et de longs mois à arpenter tous les logements vacants du Samu social le temps que leur génitrice puisse reprendre pied.

C'était ça, à ses yeux, le plus incompréhensible dans toute cette histoire : Même si Leïla était jeune à cette époque de leur vie, elle aurait pourtant forcément dû s'en souvenir, et comprendre qu'elle courrait droit à sa perte en reproduisant le schéma maternel.
Mais non. Elle s'entêtait à rester avec cette sombre merde, prétextant que l'amour avait ses hauts et ses bas et que ce n'était pas pour quelques accrochages sans conséquence qu'elle devrait quitter celui qui lui apportait un semblant de stabilité depuis maintenant deux ans.

Sauf que Thomas était tout l'inverse de la stabilité. Il la menait en bateau depuis bien longtemps en jouant de ses fragilités, de son besoin dévorant d'amour et de reconnaissance masculine, elle que son père avait délaissée dès sa plus tendre enfance. Mohammed voyait tout cela, et il n'était pas le seul. Les quelques copines de sa sœur avaient essayé elles aussi de la raisonner, avant que Leïla ne coupe les ponts avec elles puisque son cher et tendre le lui avait ordonné. Il l'avait détournée de tout le monde ou presque, l'isolant pour la rendre encore plus vulnérable, à sa merci.

Les événements de la semaine passée avaient finalement poussé Mohammed à agir.
Il avait vu sa sœur pour déjeuner en terrasse un midi comme à leur habitude, puisque c'était une des seules sorties que cette enflure consentait encore à lui accorder, avant de la culpabiliser d'être partie au moment même où elle rentrerai chez elle.
Leïla était arrivée avec un peu de retard, un air étrange collé sur son visage poupin. Elle lui avait semblé mal à l'aise, fuyante, et ce n'est qu'à force de lui tirer les vers du nez que Mohammed avait enfin pu comprendre ce qui la mettait dans un tel état.

Elle était enceinte de ce fils de pute, et comptait bien sûr garder l'enfant. Mohammed avait assimilé l'information comme il aurait accusé un coup de poing dans le ventre. Et ses entrailles avaient fini de se tordre lorsqu'il avait remarqué les marques violacées sur les avant-bras de sa cadette, signe que Thomas avait franchi une nouvelle étape de violence, physique cette fois, envers elle. Incertain sur le comportement à adopter face à sa cadette, si fragile et si obstinée à la fois, il avait fini par mettre sa fierté de côté et l'avait littéralement suppliée de le laisser lui venir en aide.
La peur que quelque chose de dramatique arrive à sa sœur ravivait en lui de trop vifs et douloureux souvenirs, et devant le refus catégorique de la brunette il s'était mis à penser qu'il lui fallait trouver un nouvel angle d'approche, une nouvelle tactique pour mettre fin à ce cauchemar.

Et ce, que Leila le veuille ou non.

Après s'être renseigné un peu sur Internet et auprès de plusieurs connaissances plus ou moins bien placées, il s'était retrouvé à prendre rendez-vous chez un avocat apparemment réputé de la capitale, espérant que pour une fois dans sa vie, la Justice avec un grand J soit de son côté et puisse lui venir en aide.
Il n'estimait pas vraiment cette institution et avait longtemps rechigné à y faire appel tant cela lui semblait vain, mais il était maintenant prêt à tout essayer pour sortir Leila du merdier dans lequel elle s'était fourrée.

Dans un mélange d'espoir et d'appréhension, il avait donc laissé ses pas le guider vers la Place Vendôme et pénétrer dans les bureaux luxueux de maître Boyer, pénaliste connu pour son efficacité et sa discrétion lorsqu'il traitait avec des clients dont vie publique et vie privée se mêlaient aisément.

Non pas que le jeune homme se considérait comme une superstar, mais il savait que les journaux à scandale se délecteraient d'une histoire sulfureuse impliquant un rappeur ou son entourage, et il était hors de question qu'il soumette Leïla à l'assaut de ces chacals. Elle avait suffisamment à gérer comme ça pour en plus être en proie aux curieux venus dépecer ce qu'il lui restait de dignité en place publique.

Une cinquantenaire replète l'avait accueilli à l'entrée et lui avait proposé de s'installer avant de lui offrir un café, le priant de patienter un instant.
Profitant de ces quelques minutes de répit, il tenta de tromper son angoisse en laissant son regard vagabonder sur le mobilier et les gens qui l'entouraient. Assis sur un fauteuil au beau milieu d'une salle d'attente aux parois vitrées, il pouvait apercevoir aisément la standardiste qui l'avait reçu.
Celle qui s'était présentée sous le prénom de Mireille était à présent affairée à son bureau à l'entrée, visiblement en pleine conversation téléphonique.
Sa chevelure courte, d'un roux trop flamboyant pour être naturel, et ses petits yeux noisette pétillants avaient instantanément suscité sa sympathie.
Elle représentait sans même le savoir une source de réconfort dans cette journée terriblement morose.

Ayant vite analysé ce qui se trouvait dans son champ de vision, il entreprit de se figurer mentalement ce à quoi ce Maître Boyer pouvait bien ressembler. Il l'imaginait déjà comme un homme mur, d'une cinquantaine d'année, aux tempes aussi grises que ses costumes devaient l'être, et il se dit alors qu'il n'échangerait pour rien au monde la passion qu'il exerçait comme métier contre un emploi de bureau si monotone.

Lorsque la secrétaire pénétra à nouveau dans la salle vitrée, un air contrit et désolé sur le visage, Mohammed comprit que sa journée allait encore prendre un tour nouveau qui ne l'enchanterai guère.

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⚠️NOTE IMPORTANTE :

Une lectrice m'a signalé qu'une partie du chapitre est écrite de manière maladroite : Moh estime que Leila « s'est mise dans la merde ».

Comme cette lectrice l'a très justement rappelé, les victimes ne se « mettent » pas dans la merde, ce sont les agresseurs violents qui SONT des merdes et qui les placent dans ces situations.
Ce n'est JAMAIS la faute des victimes, on vous voit et on vous croit, vous n'êtes pas seules. 🫶

Le chapitre étant écrit du point de vue du personnage, je trouve que cette phrase montre quand même son état d'esprit de « je veux bien faire mais en réalité je comprends pas tout » et raconte la situation par son prisme. Mais si, après avoir lu la suite de l'histoire vous estimez que ce n'est pas adapté hésitez pas à me le dire, je modifierai (même si je ne suis que très épisodiquement de passage ici).

Bonne journée, baci 💛

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant