37. Suicide social (1)

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Les petits chats, c'est un long chapitre, qui a donc été divisé en deux pour que ce soit plus facile à lire pour vous. Je posterai la seconde partie un peu plus tard dans la journée.

Bonne lecture
Baci 💛

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17 février 2018

- Bonjour Stéphane, vous allez bien ?

Jack adressa un sourire chaleureux au molosse qui se tenait devant elle. Du haut de son mètre 95 et avec sa carrure à faire pâlir un boxeur MMA, le Stéphane en question avait tout pour impressionner, surtout dans son uniforme bleu nuit. Il était en réalité d'un calme olympien et d'une douceur infinie, bien cachés sous une montagne de muscles et une apparence peu amène. Il passa une main sur son crâne chauve et luisant avant de rendre à la jeune femme un sourire sincère venu creuser son visage buriné.

- On fait aller, qu'est-ce que vous voulez que j'vous dise... répondit-il d'un ton bourru mais dépourvu d'agressivité. C'est agité c'matin ! ajouta-il, une touche d'amusement complice pointant même dans sa voix.

Stéphane aimait bien cette avocate, qui avait pris le soin de retenir son prénom et de toujours prendre le temps de discuter deux minutes chaque fois qu'ils se croisaient, depuis qu'ils s'étaient retrouvés à fumer ensemble à l'arrière du tribunal un soir où les audiences s'éternisaient. Elle hocha la tête et lui adressa quelques mots d'encouragement, avant de se diriger vers la sortie de cette pièce sombre, qui suscitait toujours chez elle cette même sensation d'étouffement.

Les geôles du tribunal, où étaient transférés les prisonniers le jour de leur jugement pour que les juges les aient sous la main, n'avaient rien à envier aux murs gris et sales des commissariats. Elles étaient aussi nauséabondes et oppressantes, donnant à quiconque y entrait l'envie impérieuse d'en sortir au plus vite.

Jack recommença à respirer normalement lorsqu'elle rejoignit le hall central du tribunal, poétiquement appelée la salle des pas perdus. Elle sourit un instant en songeant à cette dénomination, qui ne lui avait jamais paru plus appropriée.
Malgré sa superficie importante, la salle bourdonnait des conversations plus ou moins animées. Les robes noires bruissaient de tous côtés, portées par des avocats pressés qui courraient vers la prochaine audience, un dossier coincé sous le bras. Elle reconnut certains confrères qu'elle salua de la main, tandis que d'autres conversaient allègrement entre eux à côté de la machine à café.

Un nombre considérable de citoyens lambda évoluait également dans cette pièce à la fréquentation digne de celle d'un hall de gare, premiers concernés par cette Justice qui faisait le quotidien des professionnels comme elle. La même lueur impressionnée, parfois teintée d'inquiétude ou d'animosité, animait leurs prunelles. Ça et là, des individus au regard un peu perdu tentaient de se repérer dans cette sorte d'usine, essayant de se remémorer les consignes qu'on leur avait débité à toute vitesse à l'accueil. « La 4ème chambre civile ? Deuxième étage à gauche, couloir du fond, troisième porte à droite. » Limpide.

Jack n'aurait, elle, pas de souci à se faire pour retrouver son client. Il lui serait gentiment amené par l'escorte policière, sorti des geôles où elle était allée le voir à l'instant, puis servi sur un plateau directement à l'audience, dans le box des prévenus. Il était détenu depuis six mois dans l'attente de son procès, un juge ayant estimé qu'il y avait de trop grands risques qu'il s'enfuie ou tente de faire pression sur sa victime s'il avait été laissé en liberté. Jack grimaça, cette affaire était sérieuse. Les images de cet homme voûté sur sa chaise, hagard et livide, lui revinrent en tête mais elle s'efforça de les balayer. Ce n'était pas le bon moment pour réfléchir à sa défense, elle devait attendre encore un peu. Prendre la température, tâter le terrain auprès de ses confrères, goûter à l'ambiance du jour.  Se mettre en condition pour la bataille qu'elle s'apprêtait à livrer.

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant