48. De mes cendres

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10 novembre 2018

Jack se regarda une dernière fois dans la glace de la salle de bain. Elle avait lâché ses cheveux et tenté de dompter ses boucles auburn avec un succès relatif, mais mis à part ce détail elle était plutôt satisfaite de l'image que le miroir lui renvoyait. Pour une fois, le trait de liner qui ourlait ses cils semblait à peu près symétrique, et la couleur de son rouge à lèvres préféré lui donnait bonne mine. Prise d'une envie de changement soudain il y a quelques semaines elle s'était coupé les cheveux seule, et la nouvelle frange longue qui ornait chaque côté de son visage n'avait pas été pas la catastrophe à laquelle elle s'attendait.
À quelques kilos près, elle avait aussi quasiment repris tout le poids qu'elle avait perdu cet été, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Si, plus jeune, elle avait rêvé d'une taille mannequin, ce n'était plus le cas aujourd'hui. Elle aimait son corps lorsqu'il était sain et en forme, et la silhouette qu'elle avait atteint cet été ne l'était pas, pas plus que les conditions qui l'avaient menées à cet état.

Ce fut la voix de Mohammed lui parvenant de la pièce principale qui la tira de son inspection.

- Sérieux Jacky Chan, t'es sûre de ton coup là ?

La jeune femme éteignit finalement la lumière de la salle de bain et quitta la pièce pour rejoindre ses invités du jour.

Elle trouva Moh et Yaël affalés sur le canapé, en train de l'examiner de la tête aux pieds.
Le petit sourire qui étira les lèvres de son frère et le regard empreint d'approbation qu'il lui adressa réchauffa son cœur. Elle savait que Yaël s'était beaucoup inquiété pour elle ces derniers mois, probablement plus qu'il ne l'avouerait jamais. Lui aussi était pétri d'une pudeur qui l'empêchait de montrer à quel point il tenait à la jeune femme, en dehors de rares occasions. Mais il était heureux de voir qu'elle remontait progressivement la pente, et qu'elle semblait en meilleure santé physique et mentale.
Il la regarda une dernière fois avant de se tourner vers le marocain.

- Laisse tomber elle a la tête trop dure, maintenant qu'elle a décidé d'y aller c'est fini.

Voir ses deux amis s'inquiéter pour elle attendrit l'avocate. Il y a quelques mois elle se serait probablement agacée de cette attention qu'elle n'avait pas demandé, mais aujourd'hui elle en était surtout touchée. Il faut croire qu'elle aussi avait un peu changé.

Sans grande surprise, Jack avait été sollicitée par de nombreux journalistes depuis que les premières photos d'elle et Ken avaient fuité. Cet intérêt avait atteint son pic durant l'été, lorsque ses informations personnelles avaient été dévoilées, mais l'effervescence était retombée depuis. Les journaux people s'étaient finalement vite détournés du sujet lorsqu'ils avaient compris qu'ils ne réussiraient pas à obtenir de commentaire de Ken ni de sa part, et un scandale mondain en avait remplacé un autre.
Assez étonnamment, c'était surtout des médias plus sérieux qui avaient continué à s'intéresser à cette histoire. Au départ, elle avait continué à les ignorer, persuadée qu'ils étaient simplement à la recherche d'un article qui ferait larmoyer les gens sur les réseaux sociaux. Elle en voyait d'ici le scénario : « l'enfant élevée par les services sociaux qui a réussi contre toute attente » ; « l'avocate parisienne venue d'en bas mais qui avait réussi à monter, jusqu'à fréquenter des artistes influents » ; et cætera.
L'idée même d'être exposée comme une bête de foire la révulsait, elle aurait eu horreur de voir son visage affiché partout juste pour aider à faire vendre des journaux.

Mais une journaliste en particulier, Mariam, avait tenu bon et continué d'insister pour obtenir une entrevue avec elle. Presque par erreur, Jack avait fini par lire un des nombreux mails qu'elle lui avait envoyés, dans lequel elle avait longuement détaillé son projet.
Elle réalisait en réalité une grande enquête sur la protection de l'enfance depuis plus d'un an.
Quelques mois plus tôt, avant que les projecteurs ne se tournent sur Jack, une association avait fait beaucoup de bruit en dénonçant les conditions indignes dans lesquelles étaient traités certains enfants pris en charge par les services sociaux. Les dirigeants de l'association étaient eux aussi d'anciens enfants placés, et avaient réussi par leur mobilisation à imposer cette question sur le devant de la scène médiatique, alors que le sujet était d'habitude ignoré. Après tout, qui – même chez les riches bien-pensants qui s'auto-proclamaient tolérants – pouvait bien s'émouvoir du sort d'enfants pour la plupart issus de familles pauvres, malades, étrangères, ou bien un peu des trois ? Qui s'intéresserait à eux, si ce n'est les adultes qui avaient traversé les mêmes épreuves ?

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant