3. 100 grammes de peur

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27 juillet 2017

Jack vit le jeune homme en face d'elle se tendre au moment où elle prononça ces mots.

« Les choses sérieuses » commençaient donc, et Mohammed ne semblait plus tout à fait prêt à y faire face. Il était soudainement agité et son malaise intérieur transparaissait à sa manière de gigoter, faisant crisser le sky noir du fauteuil en changeant de position plusieurs fois, comme s'il essayait par sa posture de se donner du courage pour ce qui allait suivre.

Jack comprit qu'il n'était pas là pour une affaire professionnelle de droits d'auteur ou de fraude fiscale, comme elle en avait l'habitude avec les clients fortunés, plus ou moins célèbres et plus ou moins doués. Ce qui l'avait poussé à venir aujourd'hui était d'une toute autre nature, et à en juger par les gouttes de sueur qui perlaient sur son front malgré la clim et la chaleur toute relative de l'été parisien, c'était quelque chose d'important, qui le retournait profondément. Après quelques secondes d'un silence pesant, le jeune homme prit une longue inspiration et sortit de son mutisme angoissé.

Il lui raconta tout.
Sa sœur, la rencontre avec cet homme, les premiers mois où elle semblait nager dans le bonheur malgré le caractère affirmé de son compagnon. Et puis, progressivement, les nuages qui assombrissent le tableau. Les crises de jalousie à répétition, les disputes violentes, les mots dégradants de Thomas, ses manœuvres insidieuse pour couper Leila de son entourage, de sa famille, pour saper sa confiance en elle et son estime de soi. Les « bousculades » qu'elle avait bien voulu lui confier et, plus récemment, à l'annonce de sa grossesse, les bleus sur ses bras, son attitude de plus en plus craintive et sur la défensive.
Son angoisse à lui, Mohammed, qu'il arrive quelque chose à sa petite sœur, son impuissance face au déni de Leïla, qui lui retournait l'estomac chaque fois qu'il y pensait.
Il avait même fini par aborder, à demi-mots, son incompréhension face à cette situation, au fait que sa sœur devrait connaître les signes avant-coureurs du désastre vu leur passé commun, mais sautait pourtant dedans à pieds joints.

Si prendre la parole lui avait paru difficile, qu'il avait cherché ses mots au début, il s'était ensuite complètement laissé aller, et son récit avait duré un long moment. Il avait ouvert les vannes de la douleur qui le nécrosait depuis plusieurs semaines. Et comme une plaie infectée dont on laisse le pus s'écouler pour mieux la soigner, le poids qui pesait sur ses épaules semblait soudain s'être un peu allégé. Paradoxalement, parler à voix haute à quelqu'un de cette situation la rendait plus concrète, mais aussi plus facile à appréhender. Comme si poser des mots sur les faits était déjà un pas vers la solution.

Pendant tout le temps où Mohammed avait parlé, les yeux de la jeune avocate avaient oscillé entre son interlocuteur, à qui elle réservait un regard attentif qui l'avait encouragé à continuer son histoire, et le carnet posé devant elle dans lequel elle avait noté les éléments clés au fur et à mesure. Bien sûr, elle aurait pu les taper directement sur ordinateur, mais le papier l'aidait à mieux visualiser les idées, à les mettre en relation, et il emportait pour cela sa nette préférence.

Lorsqu'il eut fini de parler, Jack releva les yeux vers le jeune homme et ce fut son tour de prendre la parole.

- Bon, d'abord je tiens à vous remercier de votre confiance, je me doute que cette histoire n'est pas facile à raconter pour vous. Si je comprends bien, votre sœur n'est pas au courant de votre présence ici, et elle ne souhaite pas se séparer de son compagnon ?

- C'est ça. Je sais pas pourquoi, elle nie complètement qu'il lui fasse du mal, alors que clairement c'est un fils de... Enfin, il est violent, quoi, se reprit-il.

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant