18. Sur le sol

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3 novembre 2017

Jack sorti de la douche pour revenir dans la chambre en serviette, les cheveux encore trempés, sous le regard amusé de Ken, lui aussi en train de se rhabiller mais que visiblement la nudité ne gênait pas. À vrai dire, peu de choses le gênaient avec elle, il se sentait libre de faire ce qui lui passait par la tête sans qu'il ait l'impression qu'elle allait le juger à aucun moment.

- T'es devenue pudique ?

- Non, je mets une serviette parce que sinon j'aurais foutu de l'eau partout. Et puis après t'aurais encore eu envie de moi, c'est gênant, répondit-elle sur un ton neutre qui fit éclater Ken de rire.

Pour éviter de tremper le t-shirt qu'elle lui avait fraîchement emprunté, elle releva sa crinière en un chignon fouillis sur son crâne, ce qui fit tiquer le grec lorsqu'il remarqua un détail qui était passé sous ses radars jusque-là.

- Mais c'est quoi ça ? T'en as combien en fait ? Dit-il en posant le doigt sur l'encrage noir sur la nuque de la jeune femme, d'habitude camouflé sous son épaisse crinière.

- Je t'ai déjà expliqué, un ta-tou-age. Répète avec moi ce mot nouveau. Répondit la jeune femme en riant.
- Solas... déchiffra Ken. Ça veut dire quoi ?
- C'est du gaélique, ça signifie "lumière".
- J'imagine qu'il a une histoire particulière alors ?
- Ouais... mais c'est un peu long, et je suis pas sûre que ça t'intéresse.

Ken se retint de répondre que tout chez la jeune femme l'intéressait. Il se contenta de lui demander de raconter, en suivant Jack qui se dirigeait vers le balcon, une cigarette coincée entre les lèvres et un café à la main. Lui ne fumait plus, et voir la jeune femme respirer du goudron ne l'enchantait guère. Cependant Jack était un peu gênée de raconter cette histoire, qui représentait encore une fois une partie importante de sa vie, et avait bien besoin de tirer sur cette tige de tabac pour feindre la tranquillité.
Elle n'avait pas de problème à la raconter à Ken, à qui elle avait déjà expliqué plusieurs éléments sur son passé, mais elle craignait qu'il la juge en entendant son récit. Sur le minuscule bout de béton que l'agent immobilier avait vendu au grec comme « un magnifique balcon », les deux jeunes gens s'emmitouflèrent dans la couette que Ken avait pris soin d'embarquer sous son bras pour ne pas mourir d'hypothermie.
Jack fit rouler la pierre de son briquet sous ses doigts, et se tourna vers lui, un air sévère soudain collé sur le visage.

- Je t'interdis les yeux de cocker et la pitié, je te préviens.
- A ce point-là ?

Haussant les épaules pour signifier son incertitude, elle commença :

- Tu te souviens de Molly, ma mère biologique ? Je t'en ai parlé la dernière fois...

Ken acquiesça.

- Elle... elle a fait des allées et venues dans ma vie, même après que je sois placée. Elle avait un droit de visite, elle venait me voir, elle avait parfois même le droit de m'héberger le week-end quand elle était dans une bonne période, qu'elle suivait son traitement. Autant te dire que ça n'arrivait vraiment pas souvent... Mais quand c'était le cas j'étais la plus heureuse, je te jure j'y pensais tout le temps, je préparais mon sac des jours à l'avance les premiers temps. Quand elle était en forme, elle me couvrait de bisous, de cadeaux, elle me posait plein de questions sur moi, elle me disait qu'elle allait mieux et que bientôt je pourrai revenir vivre avec elle.

La voix de la jeune femme eut un tremblement à peine perceptible. Elle se racla la gorge pour le faire disparaître avant de reprendre.

- Au début j'y croyais, enfin j'avais envie d'y croire et je faisais tout pour me persuader qu'elle disait la vérité. Mais les fois d'après, quand elle venait, elle était ailleurs, elle se sentait observée, elle criait contre les objets et sur moi. J'avais neuf ans à l'époque, mais je savais déjà très bien à quoi ressemblait une schizo' en rupture de soins. Et puis elle ne venait plus pendant plusieurs mois, avant de réapparaître et de faire comme si rien ne s'était passé. Ça a duré comme ça pendant cinq ans, l'ascenseur émotionnel. C'était épuisant.

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant