Le second souffle • Nekfeu

35. Do I Wanna Know?

3 janvier 2018

- J'te jure mec tu l'aurais vu attraper ce babtou, c'était épique. Elle l'a tellement mis à l'amende, c'était plus Jacky Chan c'était Mohammed Ali la go !

Ken grogna. Enfoncé dans le canapé défoncé du studio où il avait trouvé refuge depuis trois jours, il écoutait bien malgré lui Sneaz raconter à Malik sa vision de la soirée du Nouvel An, hilare. Fram' en avait rajouté une couche lui aussi, impressionné par la manière brusque qu'avait eu Jack d'empoigner le britannique, tandis que Hakim se contentait d'observer sobrement les réactions du grec. Assis à côté de lui, il observait en silence sa jambe droite remuer, signe manifeste de son agacement.

Il aurait pourtant aimé que personne ne lui rappelle la tournure qu'avaient pris les évènements ces derniers jours, imaginant pouvoir se murer un peu plus dans le déni.
Il aurait aimé oublier le gout âcre qui avait envahi sa bouche quand Jack avait fini par lui avouer, après qu'il ait passé la soirée avec ce type sans être au courant de rien, qu'elle et Mikey avaient été plus que des potes par le passé. Son visage marqué par la fatigue quand il lui avait craché, violemment, ce qu'il en pensait. Plus encore que la colère qui s'était infiltrée dans son système, ce qui l'impressionnait le plus était la déception cruelle qu'il avait ressentie.

Ken ne pouvait le nier, il avait peur. Il était même angoissé de voir à quel point le manque d'honnêteté de Jack pouvaient le décevoir, creusant entre eux une tranchée vertigineuse. Il avait peur de finalement se laisser emporter par l'amertume, et de passer à côté de toutes les raisons pour lesquelles l'image incendiaire de l'écossaise dans sa combi noire restait malgré tout imprimée dans sa rétine. Peur de se lasser, comme il le faisait toujours avec les femmes. Malgré tout ce qu'il avait pu penser de la rouquine depuis qu'elle l'avait remis à sa place la première fois qu'il avait croisé son regard, il appréhendait redevenir insensible à son charme. Il redoutait le jour où il serait complètement blasé de cette relation sans queue ni tête qui ne les menait manifestement à rien. À bien y réfléchir, il était peut-être destiné à rester seul, pouvant ainsi davantage se concentrer sur ce qui comptait vraiment, sa carrière et ses reufs de toujours, qui seraient toujours là, eux.

A cette pensée, il griffonna rapidement la page qu'il tenait entre ses doigts, relisant inlassablement les mots du couplet qu'il devait enregistrer aujourd'hui avec S-Pri, essayant de trouver ce qui n'allait pas avec la rythmique de ces quelques vers. Cette concentration dans son travail lui permettait de passer outre les remarques et les regards de ses potes, qui le dévisageaient avec impatience depuis que Moh' avait ramené le sujet du Nouvel An sur le tapis. Ce fut finalement le marocain qui repris la parole pour attirer son attention, entre l'amusement et le désespoir devant son silence :

- Sérieux mec tu la ghostes encore ? Ça fait trois jours !

Ken releva la tête, faisant face à la moue désapprobatrice de son ami, accompagné par Idriss et Malik qui avaient tous deux arqué un sourcil. Les trois pires clones de l'Histoire se tenaient devant lui, et étaient des interprétations différentes d'un seul sentiment de surprise. Ils arrivaient difficilement à croire que le grec, si accro qu'il était à son téléphone et si enclin à démarrer au quart de tour, ait réussi à ignorer l'avocate pendant trois journées entières. Jack ne l'avait pas harcelée à proprement parler, mais le nombre de notifications de messages et d'appels en absence de sa part avait régulièrement augmenté depuis le 1er janvier. 

- T'as surement raison de la faire ramer, ajouta Framal, mais c'est pas un peu excessif là ?
- Elle m'a soûlée, j'ai pas envie de lui parler, marmonna-t-il, vexé qu'on lui fasse la leçon, comme un enfant pris sur le fait.