Le second souffle • Nekfeu

47. Plus de larmes

8 septembre 2018

- Je sais pas si c'était une bonne idée Mina, mais j'ai pas le choix. Il faut que je retourne au cabinet bientôt, je ne vais pas me terrer à Marseille indéfiniment.

Jack soupira. Elle venait à peine de passer le pas de son appartement d'Ivry lorsque Mina l'avait appelée, une rafale de questions au bord des lèvres. Elle aurait pourtant dû se douter que quitter Marseille sans prévenir ses parents aurait des conséquences, mais elle n'avait pas eu le courage de leur faire face avant son départ. La rousse n'aurait pas supporté une énième scène d'adieux larmoyants, elle avait déjà eu sa dose durant les mois qui venaient de s'écouler.

À mesure qu'elle vidait ses valises au milieu de son petit studio de banlieue, Jack fut saisie d'un sentiment amer de culpabilité. Elle s'en voulait d'être partie comme une voleuse de la maison de ses parents, eux qui avaient encore une fois tant fait pour elle. Comme bien des années plus tôt, ils l'avaient soutenue, portée à bout de bras alors qu'elle menaçait de s'effondrer. Ils avaient veillé sur elle jour et nuit - la couvant parfois trop - et avaient remué ciel et terre pour soulager ses peines.
Son retour à Paris ne l'enchantait pas beaucoup plus qu'eux, mais elle avait dû s'y résoudre : chaque jour passé sans travailler était un jour de plus sans aucun revenu et il était hors de question qu'elle demande à Matti et Yasmine de l'aider financièrement. Sa fierté et son estime d'elle-même avaient été suffisamment mis à mal depuis que les médias s'étaient emparés de son histoire pour qu'elle ait envie d'exposer une autre situation de faiblesse à ses parents adoptifs.
Et outre l'aspect économique, son travail lui avait terriblement manqué. L'effervescence des tribunaux, l'adrénaline qui affluait dans ses veines au moment de plaider, la combativité qui l'envahissait... tout en elle réclamait qu'elle renfile sa robe.

Bien sûr, Jack savait qu'elle avait eu raison de s'arrêter un moment. Elle n'aurait de toute manière pas été performante compte tenu des circonstances. Le choc avait été tel qu'elle avait longtemps été incapable de penser à autre chose.

Jack ferma les yeux douloureusement à cette pensée. La sortie dans tous les médias de son histoire familiale détaillée avait ravivé en elle des feux qu'elle pensait éteints depuis des années et qui avaient bien failli tout ravager sur leur passage dans sa vie. Et si elle avait finalement réchappé au bûcher de sa colère et de sa peine, les flammes ne l'avaient pas laissée indemne. En réalité, elle commençait tout juste à entrevoir la fin du tunnel après de longues semaines d'obscurité.

La psychologue qu'elle avait vu durant son séjour dans le sud n'était pas étrangère à cette amélioration. Il avait été difficile pour l'écossaise de voir qu'elle avait « régressé » au point d'avoir de nouveau besoin d'une professionnelle comme elle, alors que plusieurs années s'étaient écoulées depuis sa dernière consultation. Mais sa peur de reproduire les erreurs de sa mère biologique la hantait trop pour qu'elle refuse de prendre soin de sa santé mentale, même si cela signifiait qu'elle devait lutter contre la fierté et la douleur pour aller déverser ses pensées sur un canapé bas de gamme deux fois par semaine. Les progrès qu'elle avait fait depuis sa première séance étaient d'ailleurs significatifs. S'il lui arrivait encore de se laisser emporter par des crises de panique, elle était parvenue à sortir de la léthargie dans laquelle elle était plongée au moment où elle s'était réfugiée dans la montagne. Lorsque Ken était venu à sa recherche.

Jack aurait pu mourir de honte à l'évocation de ce soir-là, tant il était difficile pour elle d'admettre qu'elle l'avait laissé être témoin d'une telle fragilité, d'une telle faiblesse qui la révoltait.
Pour autant, elle était bien incapable de haïr ce souvenir. Le sentiment de soulagement qu'elle avait ressenti lorsqu'il s'était approché et qu'elle avait enfin senti ses bras autour de son corps lui restait en mémoire. L'espace d'un instant, elle s'était sentie comme une miraculée. Comme dans ces romans où le héros est sauvé in extremis alors que tout portait à croire qu'il était perdu.