20. Cri des loups

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3 décembre 2017

Lorsque Jack franchit la porte du cabinet ce matin-là, elle savait déjà que la journée serait longue et ses nerfs difficiles à maîtriser jusqu'au soir. Alors seulement elle pourrait se laisser aller, avec ses amis qu'elle était supposée retrouver, et déverser la colère qui montait en elle depuis que le grec avait débarqué chez elle hier soir. Pour l'instant, elle devrait se contenter de mettre toute son énergie dans son travail, et de tenter d'éviter au plus possible les contacts humains, au risque d'exploser en plein vol tant elle était sous pression.

Contrairement à son habitude, elle laissa la porte de l'accueil se claquer bruyamment derrière elle lorsqu'elle pénétra dans les locaux, et adressa un bref regard à la salle d'attente encore vide, à son plus grand soulagement. Elle se contenta de déposer une bise sur la joue de Mireille, debout à son poste comme chaque matin, l'odeur de son café noir tout juste versé dans son mug envahissant doucement le couloir.
D'ordinaire, Jack arrivait encore plus tôt que les autres collaborateurs pour prendre le temps de partager une tasse du breuvage qui faisait sa survie avec son amie, pour parler et échanger quelques instants avant de se mettre sérieusement au travail. C'était l'occasion pour Mimi de s'assurer que sa petite protégée allait bien, et de pouvoir la faire rire avec ses histoires à dormir debout, qui impliquaient souvent son empoté de mari Robert, et sa peur maladive des rongeurs.

Mais ce matin, la standardiste remarqua sans mal le visage fermé et les yeux noirs de Jack, qui ne présageaient rien de bon, malgré l'application que la jeune femme mettait à ne rien laisser paraitre. La secrétaire voyait bien que quelque chose clochait chez sa petite rate, et nota mentalement qu'elle devrait lui en toucher deux mots un peu plus tard. En détaillant un peu plus attentivement la jeune avocate qui se tenait devant elle, Mireille remarqua des cernes marqués sous ses yeux, qu'elle trouvait par ailleurs bien plus humides et rouges qu'à l'accoutumée, comme si Jack avait versé quelques larmes. Elle balaya mentalement cette hypothèse : il aurait fallu quelque chose de vraiment très grave pour que sa petite Jackie s'autorise à pleurer, et elle en aurait forcément été avertie.

Pourtant quelque chose clochait bel et bien, et ce changement dans son attitude et son apparence physique était d'autant plus marquant qu'elle avait bien remarqué une évolution inverse ces derniers temps chez sa protégée, à tel point qu'elle la soupçonnait d'avoir enfin rencontré quelqu'un de sérieux. Elle savait que l'écossaise n'entendait pas se caser de sitôt, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle devrait arrêter de fréquenter autant de garçons et se trouver un homme bien qui la mériterait et la convaincrait de lever un peu le pied sur le travail, pour faire de beaux bébés pleins de tâches de rousseurs par exemple.

Mireille avait alors pensé que c'était enfin sur la bonne voie puisque à plusieurs reprises depuis le mois dernier, Jack était arrivée légèrement en retard le matin, d'une humeur rayonnante et avait même, fait rarissime connaissant le peu d'intérêt qu'elle portait à ce genre de choses, répondu à plusieurs reprises à des messages envoyés sur son téléphone personnel au bureau, un grand sourire scotché au visage. Mireille avait bien essayé de lui tirer les vers du nez, mais elle était restée évasive, niant l'évidence que peu importe la personne à qui elle parlait, elle lui accordait beaucoup plus d'attention et d'importance qu'aux autres.

Jack savait que Mireille ainsi que les autres collaborateurs du cabinet ne manqueraient pas de remarquer son humeur massacrante, qui dénotait fortement de son attitude habituelle, mais n'avait aucune envie d'entendre ni de répondre à leurs questions. Elle se contenta donc de saluer comme à son habitude son amie, puis de foncer tête baissée vers son bureau. Elle referma à la hâte derrière elle la porte vitrée de la pièce pour s'y enfermer et tira le rideau vers le bas pour l'occulter, signe qu'elle ne voulait pas être dérangée.

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant