22. Ceux qui boivent pour oublier sont priés de payer d'avance

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8 décembre 2017

Leïla sursauta en entendant la sonnette retentir à travers son appartement. Elle n'attendait personne ce matin-là et hésita un moment à aller ouvrir, emmitouflée confortablement dans un gros plaid pour profiter au mieux de son petit déjeuner du samedi.
Plutôt matinale, elle aimait voir le temps s'allonger, les minutes de l'aurore étant pour elle les plus calmes et les plus belles. Elle profitait du silence à peine troublé par le bourdonnement de la cafetière dans la cuisine, et de la quiétude de ce début de week-end où la ville entière semblait encore assoupie. Mais le bruit strident se fit de nouveau entendre, la personne derrière la porte insistant manifestement.

Toujours enroulée dans sa couverture pour éviter de dévoiler à un hypothétique inconnu son pyjama rayé d'une classe douteuse, elle se tortilla non sans mal jusqu'à l'entrée. En ouvrant la porte, elle se félicita intérieurement d'avoir pris cette décision, tant l'apparence de son amie qui se tenait sur le perron l'inquiéta.
Leïla fit face à une rousse aux traits tirés, décoiffée, qui empestait un mélange écoeurant de tabac froid et d'alcool. La rouquine leva lentement ses yeux larmoyants et cernés de noir vers elle, et sa mine abattue confirma son idée que la situation était critique.

- Je suis désolée de te déranger, je peux repasser plus tard si tu veux... commença Jack d'une voix mal assurée qui lui ressemblait peu.

Leïla secoua la tête, faisant comprendre à son amie à quel point ce qu'elle disait n'avait aucun sens. Jack avait été d'un soutien indéfectible lorsqu'elle-même et son frère avaient eu besoin d'elle, il était à présent temps de lui rendre la pareille. Dans un sens, même si elle aurait préféré ne pas retrouver la jeune femme dans cet état, elle était heureuse que cette dernière ait suffisamment confiance pour venir se confier à elle, alors qu'elle savait pertinemment que ce n'était pas tout à fait dans son caractère habituel.
En un geste vif, elle attrapa le bras de l'écossaise pour la tirer à l'intérieur.

- Arrête de dire des bêtises, la sermonna Leïla. Je vais te faire un café bien noir, t'as l'air d'en avoir besoin, et ensuite on va se poser.

La jeune femme acquiesça doucement, restant étrangement silencieuse. Son regard était vague, perdu, et une larme menaçait de rouler sur sa joue gauche, qu'elle balaya d'un mouvement rageur de la manche.

Ses doigts entrelacés autour de la tasse fumante, Jack s'enfonça un peu plus dans le canapé avant de prendre la parole, la voix tremblante d'un sanglot qu'elle contenait autant que possible mais qui lui bloquait la gorge.

- Je crois que c'est la première fois de ma vie que je me sens aussi sale.

Après une grande respiration, elle entreprit d'expliquer à Leïla comment, la veille au soir, Yaël l'avait plus ou moins forcée à sortir pour fêter le début du week-end, prétextant que quelques verres lui feraient le plus grand bien pour se changer les idées et la mettre de meilleure humeur.

De mauvaise grâce, elle avait fini par accepter et l'avait rejoint, accompagné de ses fidèles compagnons cosmopolites. Leur présence et l'alcool aidant, elle s'était peu à peu déridée à mesure des verres ingurgités. Elle avait été sincèrement heureuse de passer du temps avec ses proches, de pouvoir les retrouver un moment. Elle avait eu de longues discussions sur la politique russe avec Nastja qui désespérait de l'avenir de son pays, avait retrouvé son partenaire de teq' paf' en la personne de Diego, et c'était finalement elle qui avait motivé les troupes pour tirer tout ce petit monde en boite, sous les plaintes de Mikey qui « aurait quand même préféré de la techno plutôt que cette merde » quand il avait compris que l'ambiance de l'établissement était plus aux années 80 et à la variété française.
Une nouvelle fois, l'alcool avait coulé à flots dans les verres et dans les veines, tout particulièrement celles de Jack, qui savourait ces moments de lâcher-prise trop rares à son goût. Elle avait traîné Diego et Yaël sur la piste de danse, qui se dandinaient maladroitement sur les rythmes crachés sans relâche par les enceintes, chantant à tue-tête par dessus la musique.

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant