31. 1000°C

2.8K 178 118
                                    


31 décembre 2017

Ces deux jours dans la cité phocéenne avaient filé à une vitesse telle que Jack s'était demandée s'ils avaient réellement existé, ou s'il s'était agit là d'un mirage de son esprit surmené.

Appuyée contre la large vitre du train, elle porta machinalement la main à son cou et sourit. Ces moments avaient bien été réels, en témoignait la tête de renard en argent qui régnait en maître entre ses clavicules.
Ken et elle s'étaient entourés d'une bulle épaisse, renforçant encore leur complicité à grands coups de marches dans les calanques, de promenades nocturnes, de rires et de moqueries.
L'avantage du Sud en cette période de l'année était que les frileux peu habitués aux températures proches de zéro ne mettaient pas un pied dehors, laissant les rues de Marseille quasiment vides passé vingt heures. Jack avait ainsi pu profiter de sa ville, offrant par la même occasion une visite guidée toute spéciale au grec qui l'accompagnait. À mesure qu'ils avançaient dans la nuit, elle avait égrené les souvenirs précieux qu'elle avait de chaque lieu, suscitant parfois les rires de Ken lorsqu'elle se lançait dans le récit de ses péripéties passées et de ses folles aventures avec Yaël.

Puis était arrivée l'heure de repartir, plus tôt dans la journée. De refaire les sacs, de mettre un peu d'ordre dans l'appartement de Solange. De dire un dernier au revoir à ses parents et ceux de Yaël, à sa ville aussi. De tourner le dos à la mer et aux gabians, de s'apprêter à retrouver la grisaille parisienne. De retrouver le poids, imperceptible mais pourtant présent, qui pesait sur ses épaules lorsqu'elle regagnait la capitale.
Jack n'était pas une parisienne, elle ne l'avait jamais été, et chaque séjour dans le sud la persuadait un peu plus qu'elle ne le serait jamais. Pourtant elle n'avait rien à reprocher à sa vie à Paris : elle s'épanouissait réellement dans son travail, adorait ses amis, et sa relation avec Ken commençait aussi à peser dans la balance. Mais, inexplicablement, elle ne se sentait jamais tout à fait aussi bien dans la ville Lumière qu'elle l'était à Marseille ou en Écosse. Elle n'était pas vraiment chez elle.

L'épaule de Ken vint se presser contre la sienne, la forçant à détourner la tête de sa contemplation des campagnes glacées et mornes qui semblaient défiler à vive allure.
Elle quitta les rails des yeux pour venir poser son regard impassible sur le brun qui la détaillait sur sa droite.

- Sérieux Jack, tu fais encore la gueule pour tout à l'heure ? Demanda Ken, visiblement ennuyé.

- Je fais pas la gueule. Je n'aime juste pas qu'on prenne les décisions à ma place. J'aurais très bien pu voyager en seconde classe.

- T'aurais pas trouvé ça trop con toi, qu'on voyage dans le même train mais pas ensemble ?!

- Tu n'aurais pas dû changer mon billet sans me demander, maintint-elle fermement. Et si je veux voyager en première, je peux tout à fait payer moi-même, lui assena-elle.

- J'en étais sûr, t'es juste vexée parce que j'ai payé pour toi ! C'est pas un peu une question d'ego ça ? Tenta le grec sur le ton de l'humour, changeant de stratégie pour dérider un peu sa belle.

Pourtant sa pique ne fut pas suivie de l'indignation de la rousse, ni d'un de ses habituels plaidoyers sur l'indépendance  économique. Elle souffla doucement par le nez, esquissant à peine un sourire avant de remonter ses jambes contre sa poitrine.

- C'est quitter Marseille qui te rend aussi silencieuse ? Demanda-t-il avec un doux sourire, pensant avoir compris ce qui clochait.

Jack ne répondit pas, se contentant hausser les épaules dans un mouvement incertain. Devant cet aveu silencieux, Ken passa un bras autour de ses épaules pour l'attirer contre lui, conscient qu'il ne tirerait rien de plus des lèvres de l'écossaise. Il commençait lui aussi à bien la connaître, et savait qu'admettre être en position de faiblesse ou de fragilité était difficilement concevable pour la jeune femme.

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant