12. Des heures

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22 octobre 2017

L'attente devenait difficilement supportable. Ken tentait d'occuper ses pensées en s'affairant à la tonne de paperasse qui croulait sur sa table basse et qui attendait d'être traitée depuis au moins deux semaines déjà.
La désagréable impression d'être revenu à l'époque du collège, où le moindre message envoyé à une jolie fille faisait palpiter son cœur et rendait ses mains moites d'anxiété, lui donnait envie de se maudire.

Depuis la soirée chez Sneaz, il n'avait pas cessé de penser à ce moment irréel, hors du temps, dans la cuisine, où il ne s'était objectivement pas passé grand chose mais qui l'avait apparemment marqué plus que de raison. L'image des yeux bruns de l'avocate, qui s'étaient écarquillés au contact de sa main sur sa peau, avait périodiquement refait surface dans ses pensées.
Surtout, les dessins en noir et gris sur l'épiderme délicat l'avaient hypnotisé, il ne voyait pas d'autre explication plausible à tout cela. Si tant est que l'hypothèse de l'hypnose soit plausible...
Le fait de ne pas connaitre la signification de ce tatouage le frustrait, il en était presque venu à en vouloir à Mohammed de les avoir interrompus au moment où Jack allait la lui révéler. Les branchages entrelacés étaient devenus sa nouvelle idée fixe, comme il pouvait parfois en avoir, et il voulait percer le secret qu'ils gardaient jalousement.

Inconsciemment, c'était aussi le mystère entier qui entourait la jeune femme qui le fascinait. Elle avait déboulé dans la vie de son pote il y a à peine quelques mois, et elle était partout et nulle part à la fois. Mohammed en parlait souvent, elle avait intégré le paysage quotidien, mais paradoxalement elle avait à peine partagé en coup de vent deux soirées avec eux. Comme un filet d'eau claire qui lui glisserait entre les doigts, Ken pouvait sentir sa présence partout sans jamais vraiment pouvoir resserrer sa prise sur elle, sans jamais pouvoir se faire une idée concrète de qui Jack était réellement. Et il soupçonnait son pote d'accaparer pour lui seul les moments de répit de la jeune femme, qui semblaient rares tant elle paraissait happée et dévouée à son travail.
Il n'y avait qu'à voir la rapidité avec laquelle elle avait détalé de la soirée la première fois, dès que son téléphone pro avait sonné. D'un autre côté, il ne pouvait pas blâmer Mohammed : Jack avait été un soutien pour lui dans une période où eux, ses frères de cœur, n'avaient pu faire grand chose pour lui venir en aide. Au départ, il en avait d'ailleurs presque voulu à la jeune femme de réussir là où eux, ses amis, qui auraient du être les plus à même de soutenir Sneaz, avaient lamentablement échoué. Mais il fallait se rendre à l'évidence, elle avait rempli ce rôle à merveille.

Ce qui le mettait dans cet état de nervosité à la limite du risible n'avait rien à voir avec la culpabilité qu'il avait pu ressentir en réalisant qu'il était impuissant face aux problèmes de son pote. C'était beaucoup plus trivial, enfantin même.

Lassé de se triturer la cervelle dans le vide, il avait fini par céder à une impulsion et avait fiévreusement dévoré sur internet tout ce qu'il avait pu trouver sur internet à propos de ces plantes, l'olivier et le chardon. Ken le réalisait maintenant, c'était pathétique, mais ça lui avait semblé une bonne idée sur le coup, un moyen d'en finir avec cette fixette qui ne voulait plus le quitter.
Il se sentait d'autant plus mal à l'aise et immature qu'il avait immédiatement envoyé un texto à la jeune femme, dont il avait récupéré le numéro par une excuse foireuse auprès de son pote, prétextant vouloir demander des renseignements sur la fac de droit pour sa sœur. Et il se trouvait maintenant là, à plus de vingt-deux heures, à attendre une réponse qui n'arriverait manifestement pas, en se demandant si son message n'était pas trop flippant, s'il n'aurait pas du le rédiger autrement, s'il avait même bien fait de l'envoyer.
C'était pourtant ridicule. Il n'avait jamais eu de problème pour parler aux personnes du sexe opposé, ni pour plaire à la gente féminine, et ça faisait bien longtemps qu'il ne s'était plus mis dans un état pareil pour une meuf qui n'était rien qu'une vague connaissance. Mais il craignait que le franc parler et le caractère abrupt de l'avocate, qu'il avait pu découvrir à ses dépens lors de leur première rencontre au café, ne lui joue encore des tours et qu'elle l'envoie sur les roses avec plus ou moins de délicatesse.

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant