45. Run Boy Run

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13 juillet 2018


Il n'avait pas fallu longtemps à Ken pour que lui aussi soit mis au courant de l'ouragan qui venait de les frapper.

Il se sentait concerné - sinon coupable - persuadé que cet acharnement des médias sur Jack n'aurait jamais eu lieu si elle ne l'avait pas fréquenté, si leur couple n'avait pas existé. Une fois de plus et bien malgré lui, il jetait une personne qu'il aimait dans la tourmente et devenait l'artisan de ses propres peines. À croire qu'il était destiné à détruire tout ce qui lui passait entre les doigts.

Même à des centaines de kilomètres de Marseille, il ressassait lui aussi en boucle ces idées noires, plongé dans les limbes d'une réflexion morose dont il ne parvenait à dissiper les brouillards que lorsqu'il montait sur scène avec ses frères. Alors seulement, la lumière revenait l'éclairer à mesure que l'adrénaline affluait dans ses veines au rythme des paroles qu'il scandait en cœur avec la foule. Mais comme pour toutes les drogues, la redescente n'en était que plus brutale lorsque l'euphorie finissait par se retirer et qu'il songeait de nouveau à celle qui partageait sa vie.

Tous les soirs, isolé dans une loge ou à l'arrière du bus, il tentait avec espoir de la joindre. En vain.
Ce soir-là ne fit pas exception à la règle. Une violente envie d'envoyer son poing cogner dans quelque chose ou quelqu'un le gagna lorsqu'il tomba sur la messagerie sobre et impersonnelle de Jack pour la douzième fois de la semaine.
Le silence qu'elle lui imposait depuis que la France entière avait eu connaissance de son identité et de son passé était pire que tout. En refusant de lui répondre, elle le condamnait à une incertitude difficilement supportable, qui le rongeait tous les jours un peu plus. Il connaissait suffisamment la jeune écossaise pour savoir qu'elle vivait certainement très mal la chose et qu'elle avait probablement juste éteint son téléphone depuis que cette bombe s'était écrasée sur elle et sur sa vie. Pourtant, une montagne de questions subsistait dans l'esprit du rappeur et alimentait son besoin de l'entendre, de la voir. De s'assurer qu'elle tenait le coup malgré tout, qu'elle était suffisamment entourée. Et aussi, égoïstement, qu'elle ne le haïssait pas trop d'être à l'origine de tout ce tumulte.

Autant d'interrogations auxquelles le refus, volontaire ou non, de l'avocate de répondre conduisait Ken à imaginer les pires scénarios.
Même en ne comprenant que trop bien les raisons qui avaient pu pousser Jack à se couper complètement du monde extérieur, il ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir de le tenir à distance de la sorte. Si seulement elle le laissait l'aider...

- Arrête de te prendre la tête et vas la voir.

La voix grave qui venait de s'élever dans son dos fit sursauter le grec, qui se retourna pour faire face à son frère de toujours. La lumière jaunâtre du lampadaire à quelques mètres d'eux éclairait d'une manière étrange le visage impassible du kabyle.

- Je suis sérieux, repris Hakim en constatant le manque de réaction du grec. Ça fait des jours que tu nous casses les couilles parce qu'elle répond pas. Tu sais qu'elle est chez ses darons et on a rien jusqu'à lundi prochain. Ça te laisse trois jours pour régler vos histoires et revenir concentré.

Ken était resté pensif.

- Je sais pas kho, peut-être qu'elle a besoin d'espace, j'veux pas l'étouffer non plus...

- J'suis pas conseiller conjugal moi, souffla un peu rudement l'algérien, mais j'sais que tu te mytho à toi-même. T'as juste peur qu'elle te téj à cause de cette histoire. Sauf que t'es en train de tourner paro à rester ici sans pouvoir l'aider. Alors vas la rejoindre au moins tu seras fixé.

Le second souffle • NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant