~ Chapitre Dernier - Partie 1

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Victoria :

Six mois plus tard.

Radieuse, j'apporte la dernière touche qui manquait à l'appartement.

Cette carte ancienne du monde est exactement ce qui manquait à cet appartement industriel aux murs sombres et au parquet ancien. Nate avait déjà accroché l'attache au mur ; -si j'avais dû le faire toute seule, le bâtiment ce serait sûrement écroulé-.

Après cette fameuse soirée de mariage, Nate et moi avons passés le reste de la nuit à parler. Nous avons parlé de nos vies respectives, tentant d'en apprendre le plus possible. Quelque part, c'est comme si nous ne nous étions jamais quittés. Comme si ces deux dernières années n'avaient été qu'un rêve déplaisant.

Je suis retournée en France moins d'un mois avec ma mère, histoire de préparer mon départ définitif : j'ai démissionnée de la maison d'édition dans laquelle je travaillais, me fichant pas mal des conséquences, et, avec le minimum nécessaire, je suis partie rejoindre Nate. Je n'ai jamais regardé en arrière, et je n'ai jamais eu peur.

Quelle surprise cela a été pour moi d'apprendre que Nate n'avait pas été embauché à New-York, là où il voulait vivre, mais à San Fransisco, en Californie. Ça ne m'a pas dérangé. J'ai rajouté une petite épingle rouge à ma carte, et je suis plus heureuse que jamais dans ce petit appartement. Nate gagne bien sa vie, mais je suis toujours à la recherche d'un emploi, et je voulais être capable de participer aux frais, alors on a pris un petit quelque chose. Nate dit qu'on n'a pas besoin de trop aménager notre nid d'amour, car je vais vite trouver du travail et il veut un appartement plus grand, mais je veux qu'on se sente bien ici. La décoration est donc une étape cruciale.

San Fransisco est différente des autres villes que j'ai pu explorer ; plus petite, plus ancienne, à l'histoire plus riche, mais je me suis étonnamment bien acclimatée. Peut-être parce que Nate est avec moi. Partout où il est, je me sens à la maison.

Les deux ans de séparation n'ont rien changé entre nous. Nate avait raison. Nous avions besoin d'un peu de temps chacun de notre côté. J'ai été ravie d'apprendre qu'il avait passé un peu de temps avec son père. Selon lui, ils ne parviendront jamais à entretenir une discussion digne de ce nom, mais j'ai bon espoir.

Finalement, j'ai eu le droit à mon happy end. Chose que je pensais impossible. Bon, avec Nate on se dispute encore ; enfin, on se chamaille plutôt. Pour des trucs du quotidien : le ménage, les repas, sa tendance à ronchonner pour un rien. Cela n'a rien à voir avec avant.

Parfois, je me dis que je n'aimerais pas retourner à cette période-là, où tout était si compliqué. Puis, en voyant le résultat, je me dis que si c'était à refaire, je referai tout pareil. Je referai tout pareil parce que maintenant quand je vois le sourire de Nate, ses traits apaisés, et la façon dont il me contemple, je me dis que nous avons parcouru du chemin.

Une fois ma carte correctement fixée, je prends mon sac à main, enfile un manteau et sors dans l'air frais de ce début d'année. Je me rends à ma consultation mensuelle chez mon nouveau médecin. Maintenant que je vis ici, aux Etats-Unis, j'ai dû trouver un nouveau spécialiste qui accepte de s'occuper de mon dossier on ne peut plus complexe. Ça a été difficile. Rare sont les spécialistes qui aiment s'occuper d'une jeune femme souffrant d'un Parkinson précoce. J'ai vu une dizaine de professionnels avant que Norah Weber n'accepte mon dossier. A chaque première rencontre se soldant par un refus, Nate pétait un peu plus les plombs.

Oui, bon j'ai dit qu'il avait changé, mais c'est toujours Nate quand même.

Norah est une femme froide et implacable et au premier abord elle est assez intimidante, mais j'aime la façon dont son côté professionnel ressort toujours. Je n'ai pas besoin de quelqu'un qui a pitié de moi. Aujourd'hui c'est un rendez-vous important qui m'attend. D'ailleurs, Nate est hors de lui à l'idée de ne pouvoir venir avec moi, mais je lui ai assuré que ça irait. Je n'ai pas besoin que Monsieur flippe à côté de moi.

Aujourd'hui, le Docteur Weber et moi allons explorer l'éventualité d'une opération chirurgicale au niveau de ma main droite. Cette dernière me fait particulièrement souffrir et il y a des jours où je ne peux même pas taper à l'ordinateur, un véritable handicap. Selon elle, cette opération assez rare pourrait avoir des effets bénéfiques sur la progression de la maladie.

J'ai déjà passé une batterie de tests, et nous avons –encore- modifié mon traitement, me faisant gerber tripailles et boyaux pendant plusieurs jours. J'espère que cette visite m'apportera une bonne nouvelle. Me taper une demi-heure de bus pour aller à son cabinet, c'est déjà la poisse. Au final, Nate aurait dû se débrouiller pour venir, il m'aurait véhiculé.

Je suis tout de suite reçue dans le cabinet du Docteur, et à peine ai-je eu le temps de m'assoir que cette dernière me fusille du regard. Son carré gris parfaitement lissé lui donne un air strict, et derrière ses lunettes en demi-lune, elle semble hors d'elle. J'ai l'impression d'être dans le bureau du proviseur, et mon rythme cardiaque s'accélère.

- Mademoiselle Pedersen, vous vous moquez de moi ?

- Pardon ? je chuchote en me recroquevillant dans mon siège.

Elle balance un dossier que j'imagine être le mien sur son bureau. Puis elle prend une profonde inspiration comme pour se calmer.

- Mademoiselle Pedersen, dit-elle en essayant de prendre un ton sympathique, j'ai déployé beaucoup d'efforts pour m'assurer que votre opération soit dans un premier temps réalisable, puis pour qu'elle se passe de la meilleure façon possible, mais il semblerait que vous ayez changé d'avis concernant cette intervention médicale.

Je me redresse dans mon siège en m'indignant.

- Mais pas du tout !

- Vraiment ? dit-elle, ironique. Lors des premiers tests, je pensais que c'était normal, à cause de votre traitement, mais là, je suis catégorique : votre taux de beta HCG est en constante augmentation, ce qui, bien entendu, annule l'intervention chirurgicale.

- Attendez, attendez, je dis en secouant les mains devant moi. Je ne comprends pas. C'est quoi ce taux ? Je crois que je m'y connais pas mal sur le plan médical, après toutes ces années, et aucun médecin ne m'a jamais parlé de ce taux-là. Qu'est-ce que c'est et en quoi est-ce que cela compromet l'opération ?

Le Docteur Weber semble maintenant dubitative.

- Mademoiselle Pedersen, le taux est très important, dit-elle gravement. Ne me dites pas que vous n'aviez pas deviné que vous étiez enceinte ? 

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Manibus Retorta IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant