La légende du dragon vert

I. 9-1 (transformation)

- Tu crois qu'il est vivant, interroge une petite voix à côté de mon oreille.

- Mais oui! Alban est fort et puis nous nous sommes bien occupées de lui, s'exclame la seconde.

- Mais Nyx, il ne s'est pas réveillé depuis deux jours! Comment font les grands pour se retenir de faire pipi aussi longtemps?

- Tu es bête! Ils le peuvent, c'est tout, répond mon amie qui rit comme à son habitude.

Mon ouïe est de nouveau rétablie. Ma peau ressent le vent la caresser doucement en de petites bourrasques fraîches et tonifiantes. Un parfum de grillades et d'herbes coupée depuis peu me parvient et me donne une sensation de bien-être que je n'avais pas reconnu depuis longtemps. Tout mon corps est relâché. Je suis apaisé et l'impression d'avoir passé une bonne nuit de sommeil réparateur me donne envie de faire un milliers de choses.
Pourtant, dès que je tente de bouger, mon corps endoloris me fait grimacer et m'arrache un «aïe » de douleur. Chaque parcelle de mon être semble brisé. Toute ma personne est une boule de souffrance dès que j'essaye de me mobiliser. Même mes paupières sont difficiles à ouvrir et la lueur du soleil pénètre mon iris d'une telle violence que j'ai eu l'impression de perdre la vue un instant.
Vais-je rester ainsi toute ma vie?
Ai-je failli à ma tâche?
Suis-je mort par manque d'attention?

- Alban, s'écrie Hiro, ne bouge pas gamin, t'es en sale état.

J'ai envie de lui répondre, mais dès que je fais le moindre mouvement, une douleur si intense, comme un poids plein d'épines fines et pointues me traverse le corps.

- T'as beaucoup trop utilisé la magie, mon gars! Faut qu'tu te repose, sinon tu vas pas tenir.

   Deux sors... c'est vraiment tout ce que je peux faire? Mes limites sont vraiment si basses et je suis donc faible à ce point?
   Pathétique!
   Des larmes de rage coulent sur mes joues. Je n'arrive pas à les retenir tant ma colère envers moi-même est grande.
   Je DOIS devenir plus fort, je n'ai pas le choix s'il me faut me battre pour libérer les hybrides du roi Omans. 
   L'image de Nao et sa compagne me revient à l'esprit. Rien que pour eux, leur aide, leur sympathie, leur misère, leurs peurs, je dois me battre et rétablir la liberté à laquelle ils devraient avoir droit. La paix entre les nations devrait être une évidence et non une option.

Hiro continue de me parler, mais ma colère reste si forte que mes oreilles sont devenues hermétiques à ce qui m'entoure. Je suis focalisé sur mon incompétence et ne peux m'en défaire. Tout autour de moi n'est qu'un vague murmure sans importance.
   Pourtant, alors que je me maudit de tous les noms, une vive douleur me réveille et m'arrache un hurlement. Hiro a saisit mes épaules et me secoue en m'appelant.

   - Gamin, reviens vers nous!

   Il crie, me fait aller d'avant en arrière et fini même par me gifler.

   - Hiro, je fini par supplier d'une voix éraillée.

   - Ah, enfin! Ta plus le droit de t'endormir maintenant, m'ordonne t-il. Tu risque ta peau! Tes pouvoirs sont encore très faibles, alors maintenant c'est repos mais pas dodo.

   Les phrases de mon ami sont toujours simple mais très claires.

   - Alban, ne te laisse pas aller à des pensées négatives, me supplie Nyx. Quand tes pouvoirs sont faibles, c'est ce qui se passe et c'est extrêmement dangereux! Ces idées t'emmènent vers la mort si tu ne lutte pas.

Mon état de métisse raté est donc normal. Il va me falloir une bonne dose de motivation pour me convaincre du contraire après mon échec cuisant à guérir le dragon...

- Oh, toi je te connais avec c'te tronche de six pieds d'long! T'as pas intérêt à continuer tes idées à la noix, raille Hiro en mimant d'être fâché.

  Je n'ai pas envie de les écouter. L'espèce de voix qui m'intime depuis que je suis réveillé que je suis un faiblard, un imbéciles sans aucun talent est trop forte. Mon cœur, aussi faible que mon esprit, vacille et lentement je sent les ténèbres m'envahir. Comme une chape sombre et lourde qui obscurci ma vision de ce ciel clair et de mes amis, elle remet tout en doute et emporte en même temps mon énergie vitale. Mes forces commencent à me quitter une seconde fois.

   - Alban, souffle une grosse voix plutôt féminine qui résonne dans ma tête, n'abandonne pas, nous avons encore beaucoup de choses à vivre ensembles, continue t-elle.

   Un souffle chaud, presque brûlant s'abat sur mon corps comme une rafale de vent très puissante. Aussitôt, j'émerge d'une sorte de cauchemars et ma vue retrouve toute sa netteté. Le ciel est de nouveau bleu et sublime, il y brille des rayons de soleil intenses et un vol d'oiseaux m'émerveille.
   Mon regard se tourne vers mes amis qui m'observent avec attention, sans presque sourciller et semblent attendre un signe, quelque chose d'important.

   - Quoi?

   Je lâche ce mot le plus simplement du monde, comme si mon état antérieur n'était qu'un mauvais songe et que rien n'avait été réel.

   - Idiot, hurle Nyx qui se précipite sur moi pour embrasser mon nez.

   Hiro ne bronche pas et garde cette mine sévère.

- Alors... c'était vrai ce que j'ai vécu?

Le métamorphe décroise enfin ces bras musclés et de ces yeux foncés, se radouci.

- Oui, tu t'es battus pendant deux jours contre cette force. Alors que tu allais défaillir, notre dernier atout c'est alors manifesté: notre belle dragonne ici présente! Heureusement qu'elle était là!

Je manque de m'étouffer. Qu'a-t-il dit?

- Dra-gon-ne?

Je suis scié, mes yeux doivent être ronds comme des billes et ma bouche béante menace de gober le premier moucherons qui passerait un peu trop près.

« Cela te pose un problème, métisse?», murmure la voix effectivement féminine de la créature.

Mes épaules se relâchent, mon corps entier semble devenir mou.

- Je suis terriblement confus... je, je vous dois des excuses alors.

« Vraiment?»

- J'étais persuadé mordicus que vous étiez un...

«Un?»

- Mâle, ma voix fini dans les aiguës tant je suis gêné.

Mais la dragonne ne semble pas déroutée et un léger rictus s'esquisse sur sa grande geule de reptile.