II. 9-3

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   J'ai beau être doué pour nouer des liens avec les créatures, je dois reconnaître que les morses sont particulièrement farouches.
   Fadir et Tarik ont déjà leur montures attitrées depuis quelques temps et je les envies d'être déjà partis s'entraîner.
Pour ma part, il me faut encore réussir à en attraper un et la tâche s'annonce plutôt... musclée!
Armé d'une longue corde nouée de manière à former un lasso, j'avance doucement dans le sable brûlant, sous ce soleil de plomb.
Les morses sont de différentes tailles et l'on vois bien la différence entre les mâles à la musculature impressionnante et les femelles, beaucoup plus fines et élancée. D'ailleurs même le regard entre les deux sexe n'est pas le même. Les imposants tas de muscles me dévisagent méchamment, tandis que les demoiselles détournent la tête d'un air peu intéressé par ma personne.
Cela me rappelle une certaine écailleuse et son humeur changeante, ce qui m'amuse beaucoup.
Tarik, en bon connaisseur du désert - c'est un euphémisme-, m'a conseillé de choisir un animal plutôt de taille moyenne en m'expliquant qu'il vaux mieux un morse endurant, que rapide, surtout pour cette course. Quand à Farid, il lui semblait plus approprié de prendre un jeune mâle, musclé et puissant, mais pas trop pour ne pas réduire son endurance.
Le seul problème que je rencontre actuellement c'est plutôt d'attraper un morse, tout simplement. Car même s'ils se prélassent au soleil, bon nombre sont partis en m'ayant vu et visiblement j'ai plus de chances avec les écailleux qu'avec les mammifères.
   Avançant pas à pas, maîtrisant le plus possible mon souffle pour ne pas apeurer les animaux, je remarque un jeune mâle un peu isolé du groupe, qui dort de toute sa masse sur un rocher, couleur sable lui aussi.
   Sans réfléchir, je saisis ma chance. Mon lasso bien serré dans les mains, je continue ma progression vers lui, oubliant même ses congénères.
   Et au moment où je m'apprête à lancer mon piège sur le cou de ma proie, mon pied écrase l'une des pattes postérieures d'un autre morse, qui se renverse dans ma direction, ses défenses prêtes à me couper en deux.
   Je me jette en avant, roule sur côté droit et me retrouve face au chef de groupe: un immense morse à la fourrure étonnement rouge et à la crinière bien fournie de couleur rouille.
   La bête, fâchée me fonce à nouveau dessus. Et tandis que je jette un œil au jeune adulte que j'avais repéré tout en esquivant l'assaut de son aîné, je vois que celui-ci a pris la poudre d'escampette.
   Je lâche un jurons malgré moi.
   Mes yeux passent d'un animal à l'autre, hélas, hormis ce colosse qui continue de me harceler, aucun autre ne semble enclin à venir à ma rencontre, ou même à se laisser approcher.
   Et là, comme s'il ne suffisait pas d'être déjà dans une situation compliquée, je me surprend à lancer mon lasso autour du coup de ce géant rouge.
   En un éclair il se cabre, puis plonge dans le sable la corde filant de mes mains vers le sol.

   - Pas de chance Alban, tu n'as plus qu'à te trouver un nouveau lasso, dis-je en pensant aussitôt aux regards peu valorisants que je vais recevoir de Samia.

   Quelque chose s'enroule autour de mon pied droit et je me retrouve propulsé à une vitesse folle sur le sol, glissant à toute allure.
   Le sable vole partout sur mon visage et tente de s'introduire par tous mes orifices.
   J'ai une pensée pour Ahmad qui a eu la gentillesse d'insister pour que je porte une combinaison pour débutant.
   En cuire d'hydre des sables, effet seconde peau, sa particularité est d'éviter l'intrusion d'éléments étrangers dans la combinaison, mais aussi d'être très résistante et d'absorber les chocs.
La force du morse est colossale et la vitesse a laquelle il avance m'empêche de me redresser. À ce rythme et sans combinaison je serais déjà mort.
Hélas, mes paupières arrivent à s'ouvrir une fraction de seconde et me permettent de voir que nous nous approchons d'une falaise tout aussi ocre que le reste de ce fichu désert.
Il faut que je me bouge!
Puisque je n'arrive pas à me redresser, je tente de gigoter dans tous les sens pour me défaire du lien au niveau de ma cheville. Le cuire d'hydre des sables est connu pour être composé de micro écailles. Et qui dit « écailles » dit forcément tranchant.
Je me débat comme une beau diable.
Et puis tout s'arrête, d'un coup.
Surpris, je me redresse lentement. Le morse rouge se tient face à la falaise, désormais à quelques centimètres de son museau. La corde qui m'a entraînée avec elle dans cette folie est toujours solidement attachée à ma cheville.
Je m'empresse de défaire le lien, de crainte que l'animal ne reparte dans une nouvelle course effrénée.
Mais le gros mâle se tourne vers moi, son regard orangé me scrute.
Je reste immobile et de longues minutes s'écoulent avant que je m'emporte.

- Mince quoi! Mais tu es fou ma parole, je râle. Tu veux notre mort? Personnellement je n'ai pas prévu de finir mes jours dans un endroit aussi... jaune! Mais quelle idée de vouloir monter ces bestioles ma parole!

Je peste comme cela encore de longues minutes, m'éternisant dans mon monologue.
Finalement le morse se rapproche, baisse sa tête au niveau de la mienne et contre toute attente, me donne une tape de son nez étrangement froid.
Il me regarde avec douceur, me suppliant presque, sans que je parvienne à deviner son attente.
Je suis à bout de souffle, mon cœur bat à tout rompre.

- Tu m'as fait une peur bleue imbecile!

Ce dernier jurons met fin à mon état de choc.
Le morse, dans un mouvement très doux, dépose sa grosse tête contre ma poitrine et m'offre son épaisse crinière en guise de coussin.
Je m'y agrippe et l'animal m'aide à me redresser.
Mes jambes flageolent et sans même réfléchir, je me laisse glisser sur le dos du morse.

La légende du dragon vert Où les histoires vivent. Découvrez maintenant