••• Sélénia •••

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Dans mon vol, j'ai d'abord pris le temps de contourner le château, de le détailler et d'en mémoriser le plus possible sur l'architecture extérieure. Peut-être que cela sera utile un jour.
D'ordinaire, je ne vais pas plus loin que les remparts du château fort en lui-même. Mais aujourd'hui, j'ai carte blanche pour tout explorer alors je vais utiliser cette occasion rêvée pour découvrir le plus de choses possible.
Première étape: monter le plus haut possible, jusque sur l'oriflamme qui surplombe la plus haute tour: celle des appartements royaux.
Le vent est fort et froid, mon baluchon semble presque animé d'une vie et bouge fortement entre mes pattes. L'espace d'un instant, j'ai même cru le lâcher. Mais au final, après un moment de lutte, j'ai fini par atteindre mon objectif.
La ville est très belle et plutôt vaste vue d'ici. Elle est jonchée sur les côtés Ouest, Sud et pour une partie de l'Est de maison collées les unes aux autres en formant de petites ruelles et débouchant sur des places toutes miniatures. Les toits en tuiles marrons se rejoignent et donne l'impression d'être face à un dédale de toits pointus voir même tranchants.
Vers le Nord et le Nord-Est, se dresse une grande plaine artificielle, ou un petit bois et un lac y ont étés créés par l'homme sans le moindre doute. Des soldats s'y entraînent, des cheveux y paissent et des machines y sont répartis de manière hiérarchisée en simulant une bataille.
   A voir le nombre de soldats et leur acharnement à l'entraînement, connaissant aussi notre roi, je devine que nos chers chevaliers, paladins et épéistes sont très vaillants au combat. Il vaudrait mieux les éviter sous peine de finir lacérés par leur lames aiguisées. Quoique, peut-être est-ce moins terrible que de finir torturé par le roi ou ses monstrueux bourreaux.
   Après avoir contemplé la ville pendant un moment, je décide de m'installer près de la porte Sud, histoire d'attendre bien sagement le convoi royal en provenance d'Aasgar. Mais lorsque j'amorce la descente de la tour, d'autres bourrasques de vent, bien plus puissantes que celles précédentes, me déstabilisent et finissent par me faire valser vers le mur d'une tour un peu plus en contrebas. La chute est vertigineuse, elle me secoue les plumes et m'empêche de me redresser. Je croasse de peur et alors que je me vois finir ma vie écrasée par le vent contre un mur, je fini ma course sur quelque chose de plus moelleux, d'enveloppant et qui me rattrape délicatement par le dos.
   Mon baluchon tombe et une vague de stress m'envahit. Mon Dieu! Mes affaires! Il ne faut pas que je sois découverte!

   - Doucement, doucement, petite créature, je ne te veux aucun mal, me dit une voix douce, faible et féminine.

   Je fini par me calmer. De toute façon, que puis-je faire hormis attendre? Dans le pire des cas, je trouverais bien un moyen de fuir.
   Une caresse allant de mon crâne jusqu'à la base de mon dos fini par apaiser mes crainte. Que c'est agréable! Et puis, je me sent tellement bien d'un seul coup.

- Tu peux te transformer, me demande la voix de femme.

J'hésite. Elle m'a déposé sur le sol en prenant soin de ne pas me faire tomber ou même de froisser l'une de mes plumes.
Je regarde devant moi et constate qu'il y a deux dames dans une salle humide, froide et puante de mort. Celle qui se tient devant moi semble vraiment en piteux état. Son visage est recouvert d'une capuche et seuls ces yeux noisettes ressortent sur l'obscurité. Elle est très maigre et je remarque des boursouflures aux niveau inférieur de sa mâchoire et de la lèvre basse.
Visiblement battue par quelqu'un.
L'autre dame, qui se tient derrière moi, tente à nouveau de me caresser mais j'esquive sa tentative, même si cela est très agréable. Elle ricane devant ma réaction.

   - Allons, allons, mon amie, autant te le dire: nous sommes dans le même camp.

   Sur ces mots, celle dont un grand manteau noir la recouvre, hôte la capuche qui voile son visage.
   Mon cœur manque un battement. Elle aussi est balafrée, alors que l'on devine un visage doux et plein de beauté. Des yeux d'un violet intense trahissent sont origine: sorcière.

   - Je suis Narva, j'imagine que tu as compris mes origines?

   Je croasse, oubliant même que je suis toujours sous ma forme animale.
   Son visage est plein de gentillesse, d'affection, mais aussi de douleur et de fatigue.

   - Celle qui se tient derrière toi est une elfe. C'est aussi mon unique amie et le seul être qui me rattache un peu à l'extérieur de ces murs, même si nous sommes prisonnières d'une certaine manière toutes les deux.

Cette déclaration fini par me convaincre de me transformer en partie, de manière à ne pas finir nue et transi de froid.

- Tu piques ma curiosité, sorcière. Dis m'en plus je t'en prie.

Une lueur, comme une étincelle de joie traverse le regard de celle qui se tient devant moi. Elle se lève et part rejoindre l'elfe très affaibli. Elle lui murmure quelque chose à l'oreille, mais si faiblement que mon ouïe fine ne parvient pas à comprendre le contenu du message.
L'elfe redresse son visage.

- Oh, Narva, soupire celle-ci, épuisée et donnant l'impression d'être mourante, tu as trouvé un espoir!

   Mes yeux s'écarquillent, un « espoir », moi? Elle n'a pas bien vu mon allure pour dire cela et ne sais pas à quel point je suis liée à ce foutu château.
   Ma bouche s'ouvre, je m'apprête à protester quand la sorcière me prend de vitesse.

   - Oui, Kala, voilà une métamorphe qui pourra sûrement nous aider.

   L'elfe attrape une main de son amie et la serre aussi fort que possible de ces doigts fin et squelettiques. Elle lui adresse un sourire radieux et plonge ces yeux aux reflets dorés dans les miens.

   - Approche, je t'en prie.

   Sans même réfléchir je m'exécute, maudissant mon empathie pour ces femmes mal en point.
   Après m'être accroupie près d'elles, la dénommée Kala saisit l'une de mes mains. Des doigts glacés entourent les miens et un frissons parcours mon échine.

   - Tu es très jolie, commence l'elfe, mais ton cœur est plein de haine, de crainte et d'incertitudes.

   Elle s'arrête un moment et pousse un « oh » de surprise.
   Son estomac grogne longuement. À la voir j'imagine que le roi la laisse moisir dans cette salle jusqu'à ce qu'elle meurt de faim.

   - Le roi est cruel, je souffle en resserrant mes mâchoires jusqu'à faire grincer mes dents.

- Mais toi, tu n'es pas un simple corbeau, souffle l'elfe. Du moins, c'est ce que me dit ton aura. Ton père ne serait pas blanc?

Blanc? Elle parle de ces grands et majestueux rois ou reines metamorphes et qui se distinguent des autres par leur pelage ou leur plumage? Impossible, surtout pour mon clan.

- Les corbeaux n'ont plus de grand maître depuis bien longtemps, je répond en sentant ma gorge se nouer.

Les femmes me regardent, puis leurs regards se croisent. J'ai la sensation que quelque chose vient de se passer entre elle et cela m'intrigue.

- C'est bien dommage, commente la sorcière, visiblement touchée par la déclaration. Les êtres non-humains sont de plus en plus faibles face à eux. Bientôt, les chefs auront tous disparus et s'en sera fini de notre monde si beau et plein de merveilles.

   Un centre grogne lourdement, coupant la sorcière dans sa réflexion. L'elfe, d'une maigreur extrême, se meurt de faim et son estomac gargouillant ne la laisse pas sans souffrir.

   - Kala, attend, je vais utiliser un peu de magie pour t'apaiser, murmure la ténébreuse.

   Et tandis qu'une lumière douce et blanche émane de l'une de ces mains, je prend la décision d'en apprendre plus sur elles et sur ce que ces femmes attendent de moi.
   Première étape: manger!

   - Bien, je n'ai pas envie d'entendre des morts vivants me raconter leur peines. Je m'éclipse, ne mourrez pas de faim avant que je ne soit revenue!

   Leur yeux écarquillés, elles me regardent me métamorphoser en un clin d'œil avant de disparaître par le minuscule trou qui sert de fenêtre à ce château glaçant.
   Je dois bien pouvoir trouver quelque chose de bon à se mettre sous la dent dans ce maudit village?

La légende du dragon vert Où les histoires vivent. Découvrez maintenant