•• Sélénia ••

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   « Part Sélénia, ne te retourne pas et laisse moi », avait prononcer Dendao pour me rendre ma liberté, même si cela lui aurait coûté la vie. Mon mentor, mon père d'adoption sait pertinemment que les missions qui consistent à enlever un malheureux pour qu'il soit ensuite torturé avant de mourrir dans d'atroces conditions est hors de mes valeurs. D'ailleurs le respect de chacun est quelque chose d'essentiel à mes yeux. Et pourtant... notre monde est injuste. Les « forts » ont le droit de tout sur ceux qu'ils considèrent comme « faibles » et de cette manière aucune rébellion, n'est tolérée, aucun égard pour les miséreux n'est concédé.
   Den savait très bien que je ne le laisserais pas tomber, que c'est au dessus de mes forces. Que me restera-t-il si la seule raison pour moi de vivre disparaît? Rien... le néant, la solitude absolue et pour finir la mort.
Pendant que des pensées négatives traverses mon esprit, je sens que l'on transporte ma cage dans un lieu en hauteur. Je suis sensible aux variation de pression sous ma forme de corbeau.
J'ai tellement hâte qu'on me retire l'horrible masque qui bloque ma vision et qu'on me laisse sortir de mon perchoir miniature de pauvre oiseau enfermé en cage...
Si je pouvais soupirer, je pense que je n'arrêterais pas, mais quand je suis transformée en animal, mes réactions s'adaptent en fonction de mon corps et en l'occurrence, je croasse tant que Sven n'arrête pas de râler en me demandant de « fermer mon sale bec de piaf ». Évidemment je n'en fais rien, il a besoin de moi malgré les menaces qu'il m'a fait un peu plus tôt, pour tirer un gros gain du métisse que je dois traquer. J'aime bien casser les pieds de cet ordure, cela me rend de bonne humeur, même si je vois d'ici là tête de Den, réprobateur à ce que je provoque le bourreau de cette manière par peur des représailles.

   - J'te jure sale corbac que je vais t'étriper un jour a t'entendre pousser cet horrible cri, me menace Sven.

   La lumière inonde ma cage et le masque qui recouvre mes yeux est retiré avec beaucoup d'indélicatesse, me secouant dans tous les sens et arrachant quelques plumes au passage. Pas très agréable.

   - Transforme toi, m'ordonnes le bourreau.

   Je n'en fais rien.

   - Transforme toi!

   Toujours pas un son, pas un mouvement de ma part.
   L'homme s'énerve et fini par jeter une cape au sol ainsi que ma tenue d'espionne, puis se tourne.
   La porte de ma cage est ouverte et je me dirige vers la sortie, avant de me transformer. Je suis nue, alors je m'empresse d'enfiler ma combinaison avant que l'autre porcs ne cherche à me voir sous mon plus simple appareil. Dendao a toujours eu peur que cet homme gras et dégoulinant de sueur ne s'en prenne à moi, prétextant que même si je suis une métamorphe et donc une « indésirable » dans le royaume d'Orgès, qu'il n'en est pas moins que je suis jolie et désirable selon mon mentor.
   Mouais, un pied bien placé et je te promet de transformer ce coq puant en chapon.

   - C'est bon, je lache nonchalamment, un regard en dessous de l'une de mes mèches brunes.

Son regard salace m'écœure. Sven est vraiment un personnage grossier, puant et immonde. Je n'imagine pas qu'une femme puisse tomber amoureuse de lui... à moins que ce ne soit une orc ou un troll ou encore un gobelin! Qui sais, sa grosse panse peut donner des envies de grillades à ces créatures?

- Hôte moi ce sourire narquois de tes lèvres, petite sote, ou tu pourrais le regretter, me menace le gros.

Je m'exécute et ne cherche pas a le provoquer davantage. Un jour, je sais que je punirais cette personne, alors autant rester en vie et attendre le bon moment pour lui infliger une correction digne de ce nom.

   - Alors? Que dois-je faire maintenant?

   - Bien, j'aime mieux ça, gamine, grince l'horrible bonhomme transpirant.

   Il sort de sa veste un parchemin et le déroule sur une petite table en bois abîmée.
   Je m'approche à sa demande et observe attentivement le contenu. Un plan de la ville étonnement détaillé s'offre à moi et chaque établissement, chaque ruelle est dessiné avec soin.
   Sven plante son doigt sur l'entrée Sud de la ville.

   - D'ici quelques jours, un trésor royal sera offert au grand roi Omans par le royaume d'Aasgar en signe de soumission, commence t'il. Tu vas te transformer et observer, il paraît qu'un petit idiot passe son temps à narguer nos soldats et je serais prêt à parier qu'il s'agit d'un maudit hybride. Ton rôle sera de le pister, puis de nous transmettre le lieu de sa cachette pour que l'on puisse se saisir du gosse et de ses complices.

   - Et j'imagine que vous allez le tuer?

   Question à ne pas poser. Le sourire plein de sadisme de Sven me laisse penser que ce malheureux risque de passer un mauvais moment dans les mains du roi, ou de ces sbires.

   - Disons plutôt que nous avons des questions à lui poser avant cela. Il fera un petit tour dans les tréfonds du château pour retrouver la créature que tu as aperçu avec ton maître, répond t'il en ricanant. Je te laisse imaginer la suite...

Son allusion m'inquiète, je pense que c'est une façon de me mettre également en garde sur mon comportement et ce qui pourrai arriver à Dan si jamais je me rebelle.

- En attendant le jour dû convois, tu vas avoir pour mission d'observer la ville attentivement. J'espère bien choper cet hybride rapidement. Je te laisse le droit de partir pour trois jours, seule. Au delà de ce délai, si je n'ai pas de compte-rendu, ton maître adoré mourra, m'annonce Sven sans la moindre pitié.

   Il me lance un baluchon posé près d'une meurtrière, sur une minuscule table en bois mouillé.

   - Voila de quoi te faire vivre trois jours en dehors du château, ricane Sven aux dents jaunes et noires.

   Sans même chercher à comprendre, je m'avance vers la liberté enchaînée de cette minuscule fenêtre sur le ciel. Un hochement de tête et je me retourne vers ce que j'aime le plus dans ce foutu monde: le ciel, puis me métamorphose en corbeau en une seconde en laissant retomber sur le sol mes vêtements. J'espère au moins que ce gros lourd de Sven à penser à me mettre des vêtements convenables dans le baluchons léger que je porte entre mes pattes.
   Je me laisse tomber vers le sol en piquant du nez et profite de la sensation du vent qui frotte mes plumes.
   Que c'est agréable!
   J'aimerais rester pour toujours avec cette illusion de paix que cela me procure, cette impression de liberté infinie.

   - N'oublie pas ta mission, Corbeau, hurle Sven avant de disparaître dans la tour.

   Si seulement je pouvais l'étriper et sauver Dan... si seulement mon envol n'étais lié à une maudite mission.... si seulement Omans n'étais pas un tyran...
   Mais l'heure n'est pas aux lamentations, il me faut trouver des indices et un endroit pour dormir cette nuit avant de revenir vers ce château macabre.

La légende du dragon vert Où les histoires vivent. Découvrez maintenant