L'Horloger...

Kairy : "Tu adores jouer mais déteste perdre"

Esa semble se raviser et pose ses doigts sur son téléphone.
_ Et si j'ai pas envie de le poser ?
Je la reconnais bien là, butée comme il y a plusieurs siècles en arrière et trop fière pour écouter.
Je me tourne alors vers son amie:
_ Pauline, tu veux bien me donner le numéro d'Esa, s'il te plaît? Que je lui parle par texto, apparemment ça lui convient mieux.
_ C'est bon je t'écoute.
Esa se renfrogne en croisant les bras et j'éclate de rire.
_ On croirait une enfant à qui on refuse son goûter.
_ Bon aller , ça suffit , je m'en vais.
Je ne me lève même pas :
_ Non tu ne t'en iras pas.
_ Ah oui? Et pourquoi ?
Alors je me tourne en la regardant droit dans les yeux :
_ Parce que tu adores jouer mais que tu détestes perdre.
Elle ouvre la bouche s'apprêtant à répliquer , mais au lieu de ça , elle fronce les sourcils et sort en claquant la porte.
Eh merde , j'ai tenté de la faire réagir, j'ai réussi mais pas dans le bon sens. Et maintenant va falloir que je rattrape ça.
_ Faut pas lui en vouloir, ces temps-ci c'est un peu dur pour elle.
Pauline débarrasse la table et continue :
_ Mais bon, vous le savez, c'est pour ça que j'ai fait appel à vous.
_ Tu peux me tutoyer , je l'ai fait tout à l'heure avec toi.Mais qu'est-ce qui se passe au juste avec Esa?
_ Ces derniers temps , elle a eu des déceptions amoureuses et là, j'ai plutôt l'impression qu'elle se cherche.
_ Encore faut-il qu'elle soit prête à accepter ce qu'elle va trouver.
_ Mm oui je crois aussi. Mais il y a plus que ça, vous savez...enfin, tu sais, Esa est une fille qui est toujours de bonne humeur, celle qui va te faire rire quand ça va pas forcément,mais là je sais pas , je la reconnais plus.
_ Il y a eu quelque chose en particulier qui l'a faite changer ?
Pauline soupire comme quelqu'un qui arrive au bout de toutes les solutions épuisées :
_ S'il y en avait qu'une seule,mais ça, c'est pas à moi de te l'expliquer.

Quand je m'apprête à partir , Pauline pose sa main sur mon poignet :
_ Vas-y doucement s'il te plaît, elle a pas mal souffert.
Et alors que cette cicatrice me lance et me rappelle à la douleur qu'Esa, il y a bien longtemps a pu m'infliger, je réponds :
_ T'inquiète pas , j'irais pas à pas, en essayant de pas la bousculer.

Quand je referme la porte, j'attrape mon téléphone , pianotant le numéro d'Esa que Pauline vient de me glisser et serre les dents.
Je ferme les yeux et rejette les images qui s'imposent à moi.Celles qui vont pourtant revenir souvent et me donner l' envie de lui faire comprendre ce que j'ai pu ressentir,  après toutes ces années.
Parce qu'il y a tant d'années justement, Esa , elle, ne s'est jamais demandée si elle m'avait blessée.