L'Horloger...

Esa : Sauf que ce qu'est devenue Calista, c'est peut-être bien à cause de moi

— Debout !!

J'essaye de me réveiller alors que j'ai l'impression de m'être enfin endormie il n'y a que quelques minutes. De cauchemars en cauchemars, j'ai eu un sommeil agité. Altheia tire les rideaux sans même me regarder.

— Dans cinq minutes en bas !

— Quoi ? Mais...

Sans comprendre ce qui se passe vraiment ici je me lève et Altheia s'approche de moi, le regard aussi noir que le ciel dehors :

— C'est pas des vacances que tu passes ici ! T'as pas encore compris ?! T'as pas encore compris que tout ce qui t'arrives n'est pas du commun des mortels  ?!

Et avant qu'elle n'ai eu le temps de partir, je décide de réagir :

— Je peux savoir ce que je t'ai fais pour que tu soit aussi glacial avec moi ?! C'est quoi ton problème au juste ?!

Elle se fige, je me dis que j'ai touché quelque chose mais finalement elle s'en va. J'ai bien atteint ma cible, mais celle-là est de toute évidence, beaucoup plus douloureuse que je ne le crois.
Pourtant c'est ma gorge qui se serre, fatiguée de ne pas  comprendre ce qui ne va pas. Fatiguée d'avoir cette impression que tout ne tourne pas rond et que je suis la seule responsable de tout ça.

Après avoir déjeuner, Altheia n'est toujours pas réapparue. Je commence à m'inquiéter et me demande si je n'aurais pas dû me taire quand par la fenêtre une première flèche fend l'air à la vitesse de l'éclair. Sur le pas de la porte, j'observe une silhouette au loin dans la brume :

— Qu'est-ce que....

Elle paraît à des dizaines de mètres dans ce brouillard et pourtant les cibles sont à quelques pas de moi. Dans chacune, la première flèche vient se ficher en son centre et la seconde vient fendre la première. Alors je me parle à moi-même comme pour me convaincre que tout ça, est réel :

— À des dizaines de mètre dans ce brouillard ! À des dizaines de mètres dans ce putain de brouillard  ? !!! Tu ne vas pas me dire qu'elle attend que je fasse la même chose ?!

Et puis mon cœur accélère, quand cette silhouette avance, finalement je ne sais même pas si c'est bien Altheia. Il vaut mieux, parce qu'avec cette précision -là, je serais la plus facile des proies.

Un survet à capuche noir et un simple jean troué, des converses grises abimées, elle s'avance vers moi les yeux masqués. Un masque si sombre que je ne vois que le vert de ses yeux, ceux qui m'ont les premiers jours chamboulés.
Les manches relevées, mon regard et tout mon corps se figent devant ses bras tatoués. Sur le gauche exactement le même que moi, celui de ce temps, avec lequel elles semblent pouvoir toutes jouer. Quand elle me tend un arc bien plus sophistiqué que le dernier, elle n'essaye même pas de dissimuler ce sur quoi j'ai le regard rivé : d'autres tatouages destinés à estomper des tas de cicatrices de brûlures ou de marques ancrées.

J'aimerais lui poser des questions, lui demander ce qui a bien pu arriver, si Calista aussi est venue lui faire tout ce qu'elle nous a imposé, à Kairy comme à moi, et puis je comprends l'horrible vérité. Si c'est bien elle, l'horrible scénario s'est répété :

— À toi !

Je la regarde ahurie :

— C'est une blague ?! Tu ne va pas...

Elle passe derrière moi, et noue un foulard noir sur mes yeux :

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je vais t'apprendre à t'écouter, je vais t'apprendre à devoir voir ce qui est en toi pour te laisser guider. Ensuite, tu pourras tirer une flèche au millimètre près sans jamais manquer ta cible. Parce que c'est ton esprit qui aura appris à la visualiser. Mais pour ça il faut d'abord que tu apprennes à regarder ce qui se passe en toi et...

— Je ne peux pas Altheia, c'est bien trop douloureux et je...

— Je ne vais pas te laisser le choix Esa. Je sais très bien que tu es bien plus avancée dans ce domaine que ce que tu veux nous avouer. Je sais que tu as rencontré d'autres Horlogers dont tu t'es bien passée de nous parler. On ne porte pas nos noms par hasard Esa, mais ça tu ne vas pas tarder à le comprendre.

Ses doigts chaud sur ma peau apaisent un peu cette peur qui s'insinue en moi. Elle a raison, je ne leur ai pas tout dit, mais parce que je ne savais pas si j'en avais le droit. Parce que je ne sais plus qui de tous ces horlogers me veut du bien, veut m'empêcher d'avancer ou simplement de respirer.

Elle a encore raison aussi, tout ça a commencé il y a de ça des années. Ce qu'elle ne sait pas c'est que depuis qu'elle et Kairy me font voyager dans le temps, j'ai eu des sensations bien particulières. Celle d'avoir déjà été dans certains de ces endroits.
Ce qu'elles ne savent pas, c'est que je n'ai pas eu besoin d'elles pour commencer à comprendre ce qui est en train de se passer et que même pour moi, cela fait des siècles que tout à commencer.
Et que si Calista est devenue la pire ennemie de Kairy après l'avoir aimé , pour moi elle n'a jamais été autre chose que ça.
Sauf que ce qu'est devenue Calista, c'est peut-être bien à cause de moi.