Kairy : "Je porte moi aussi ces cicatrices"

822 72 5
                                    

Je serre les poings et fixe cette rose à mes pieds. Je suis en train de faire payer ce que Calista m'a fait à Esa alors qu'elle ne le mérite certainement pas.
Quand je lève les yeux, les lumières s'allument une par une. Et puis c'est à son tour de crier.
Sans réfléchir , je cours et monte les escaliers quatre à quatre.
Esa est dans la première chambre , face à un psyché, ce long miroir, brisé en mille morceaux.
Essoufflée, comme un taureau prêt à charger , elle se tient debout , les poings serrés.
Je me fige me demandant un instant si c'est elle ou Calista que j'ai en face de moi.
Et puis des gouttes de sang tachent ces morceaux de glace acérés  par terre.
Doucement je m'approche, des larmes se mêlent au sang coulant de son poignet.
Son tatouage , celui de cette montre à gousset cassée, est recouvert de griffures.
J'effleure sa peau chaude, et puis resserre mes doigts autour de son poignet.
Elle a besoin de se calmer, et j'en profite pour aller chercher une bande , et de quoi la soigner.

**
Quand je reviens, elle n'a pas bougé, et sa respiration est profonde mais accélérée. De celle qui refuse de ressentir cette douleur, s'insinuer au plus profond de soi.
Lentement, j'enroule la bande autour de son poignet, si elle savait que je porte moi aussi ces cicatrices qui ne veulent pas s'estomper et qui souvent se remettent à saigner.
_ Je suis désolée pour tout à l'heure.
Elle lève les yeux vers moi, ceux qui expriment cette souffrance qu'on combat mais qui ne s'arrête pas, et murmure à son tour :
_ Et moi pour maintenant.
_ Ne le sois pas.
Elle fixe les dégâts sur le sol et sourit :
_ Même ce miroir ne veut pas de moi , comme je ne veux pas de ce reflet qu'il me renvois. Ce que tu vois là, c'est l'état de mon mécanisme , qui n'arrive plus à accélérer.
Et puis sans que j'ai le temps de comprendre , elle sort une montre à gousset , la même que celle de son tatouage et la balance contre le dernier morceau de miroir qui tenait encore en hurlant :
_ Voilà ! C'est ce que vous vouliez! C'est ce que vous aviez déjà fait ! C'est l'état de celui que j'ai à l'intérieur ! Celui qui ressemblait vaguement à un coeur ! Mais qui n'est plus qu'un putain de mécanisme que vous avez bousillé ! 

Elle rassemble les pièces de la montre, au sol, éparpillés et ouvre la fenêtre.
Un courant d'air froid s'engouffre dans la chambre , elle ferme les yeux, tend son poing fermé et puis ouvre et écarte ses doigts :
_ Comme ça ils ne pourront plus jamais être recollés. Comme ça le temps pour moi s'est arrêté et plus personne ne pourra y toucher.

On fixe toutes les deux ces morceaux tombés, et quand elle se retourne, je la sens se figer.
_ Qu'est-ce qui se passe Esa ?
Elle fixe quelque chose et quand je comprends , j'enlève la bande autour de son poignet.
Le miroir est de nouveau entier et ses blessures semblent ne jamais avoir existées. Alors mes doigts , glissant dans les siens , je murmure :
_ On dirait bien que quelqu'un n'est pas prêt à accepter que ton temps soit compté. Et qu'on ne te laisse pas d'autre choix que d'avancer.

Elle se colle à moi :
_ Reste à côté de moi s'il te plaît, je ne comprends pas ce qui se passe et ça m'effraie. Mais tout ce que je sais c'est que j'ai besoin de dormir. Je ne sais pas si je vais me réveiller et comprendre que tout ça n'aura été qu'un rêve bizarre et un moment qui n'a jamais existé.
 
Elle resserre ses doigts autour des miens et me regarde :
_ Mais tant que je suis dans ce monde là, j'aimerais que tu ne sois jamais loin de moi. Parce que si tu es là, c'est que j'ai besoin de toi....n'est-ce pas ?

Je ne lui réponds pas, pas parce que je ne veux pas. Mais parce que je me  demande au fond si je suis celle qui est là pour l'aider ou si encore une fois mes sentiments vont , faire de mon mécanisme, celui qui sera éparpillé.
Sauf que pour moi, ça fait des centaines d'années et que personne n'a rien effacé. 

L'Horloger... Où les histoires vivent. Découvrez maintenant