Esa

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La mère de Kairy m'ouvre la porte de la berline :
_ Monte, on va faire un détour. J'ai deux ou trois choses à t'expliquer avant.
_ Je ne veux pas les laisser là, je ne veux pas qu'elles...
_ Tu n'as pas le choix.
Le trajet paraît durer une éternité et je fixe la fenêtre en laissant partir mon esprit. Mes paumes frottent encore et encore mon jean sous la nervosité quand sa main se pose sur la mienne :
_ Je sais et j'ai vu de quoi tu étais capable. Je ne doute pas une seule seconde que tu feras ce qu'il faut.

Je n'ai pas cette assurance. Je suis cette fille timide, celle que personne ne voit. Et voilà qu'aujourd'hui je suis un des plus solide piliers sur lequel tout semble reposer.
Un pilier aux nombreuses failles qui semble sur le point de céder.

Je regarde mes cicatrices et repense à mon enfance :
_ Mes parents étaient au courant pour moi ?
_ Je ne sais pas.
_ Mon père m'a offert une montre à gousset en me disant que j'étais fascinée par les Horlogers quand j'étais jeune alors peut-être que...
_ Peut- être qu'il savait en effet. Tu sais, j'ai entendu parler de toi de nombreuses fois au cours des siècles. Je ne savais pas à quoi tu ressemblais mais ton second nom et ta réputation te précédaient.

Elle descend lentement et m'amène sous cet arbre que j'ai sorti de terre :
_ Et puis quand j'ai vu que tu étais capable de ça, j'ai compris que tu étais... lui. Ses racines, ce tronc imposant, et ses branches symbolisant la vie et par la même, le temps qui s'écoule dans sa sève, le temps qui nourrit chacune de ses feuilles comme chacun de nous, le plus majestueux et imposant des arbres.
Elle se tourne vers moi :
_ Esa, si tu es en mesure de faire ça, c'est bien parce que tu as une force au delà de tout ce que tu crois, au fond de toi. Laisse résonner cette énergie. Regarde ce tronc, passe-y ta main, des milliers de blessures, des centaines d'entailles. Le plus vieux des arbres sur cette Terre est capable de vivre cinq mille ans, et il est toujours debout et permet aux Hommes de respirer en produisant inlassablement de l'oxygène. Tu as le droit de ployer sous le vent , tu as le droit d'essuyer des orages violents. Ce sont eux qui font de toi ce que tu es, ce sont eux qui te rende majestueux.
Elle lève une main et le sol se met à trembler. En une seconde ce sont des dizaines de tornades qui m'entourent et mon cœur se met dangereusement à accélérer :
_ Qu'est-ce que vous faites ?
_ Je laisse mes douleurs s'exprimer Esa.
_ Quoi ? Mais...
_ Tu comprendras que rien n'est là au hasard, même ces douleurs qui semblent te détruire. Il est temps d'ancrer tes pieds, et de braver Calista. La perfection n'existe pas , on en a chacun notre propre définition et quand on croit l'atteindre on s'aperçoit finalement qu' elle ne l'est pas. Montre à Calista qu'elle n'est pas de ce monde, montre à cette partie de toi que tu as créée et que tu espérais tant approcher qu'elle n'est pas importante ici. Ce qui est important c'est le temps Esa , celui qui rythme nos pas. De comprendre les véritables enjeux. Le temps n'est pas fait pour être décompter, l'Homme l'a créée comme un sablier, croyant pouvoir le maîtriser mais le Temps ce n'est pas ça. Le Temps est tout simplement toutes ces choses qu'on ressent. Il ne sera jamais perdu, le Temps doit être simplement vécu.
_ Je n'y arriverais pas, c'est bien trop imposant pour moi.

Elle sourit une dernière fois avant que nos pieds ne décollent du sol. Cette fois une main tendue ne suffira pas à les calmer et je la regarde, complètement paniquée.
Je ne sais pas si son sourire doit me faire peur ou me rassurer :
_ Comprendre le Temps, c'est aussi comprendre que parfois, l'on doit accepter de ne pas tout maîtriser. Alors ferme les yeux, et combat, pour montrer que le Temps... C'est... Toi! Et que personne d'autre ne te l'imposera !

L'Horloger... Où les histoires vivent. Découvrez maintenant