CHAPITRE 16

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Quand nous sortons de l'avion, il est vingt-trois heures. Je plisse les yeux pour tenter d'y voir plus net, sans succès. Je suis exténuée et rien ne parvient à me tenir éveillée. Jérôme me traîne jusqu'au SUV noir qui nous sert de taxis de l'aéroport à l'hôtel, le Long Beach Hotel. Ils sont allés le chercher loin ce nom là ! Je m'affale sur les sièges en cuir de la voiture. Jérôme monte à l'avant – sûrement pour ne pas avoir à me servir d'oreiller provisoire. Et quant à Zach, il se contente de monter par la même portière que moi et de me pousser à l'autre extrémité de la voiture. Je grogne en me laisser glisser de l'autre côté. J'étais bien ! Je dormais ! Quelle idée d'arriver à vingt-trois heures à la fin !

– Attache-toi feignasse ! Me recommande de manière très sympathique Zach.

Je le qualifie d'un regard noir digne des plus grands films d'horreurs en bouclant la ceinture. Il fait nuit noir, je ne vois rien au dehors, ne serais-ce que les lampadaires du boulevard sur lequel nous roulons. Ma tête tombe toute seule vers l'avant, je suis à deux doigts de m'endormir mais comme à chaque fois, Zach prend un malin plaisir à me réveiller. Un coup de coude dans les côtes et quelques compliments – feignasse, marmotte et autres expressions de cours d'école... Et c'est ça mon meilleur ami ?

– Tais toi abruti ! Je râle en le repoussant.

– On est arrivé la marmotte, arrête d'hiberner !

Je m'étire longuement avant d'ouvrir ma portière et de sauter sur le trottoir. Jérôme me tend ma valise et nous montons tous trois les marches du perron de l'hôtel dans un silence presque religieux.

Arrivés à l'accueil, une vielle dame dont le mascara coulant sous les yeux et le regard vide nous permettent de nous faire une idée très précise de son occupation des dernières heures nous prend en charge. Heureusement que Jérôme avait déjà tout réservé, vive les trois chambres du deuxième étage qui nous sont attitrées !

Il y a un ascenseur, ce fut sûrement mon plus gros soulagement de la journée ! Nous nous engouffrons tous dedans et montons sans un bruit au deuxième étage. Jérôme est tout aussi endormi que moi, seul Zach paraît éveillé, mais il n'est pas assez fou pour parler tout seul – quand même !

Les portes s'ouvrent et mon coach nous indique nos chambres. La mienne est toute au fond, numéro 23. Jérôme a la chambre numéro 21 et Zach la chambre numéro 20.

Dieu merci je n'aurais pas à subir ce dernier de bon matin !

Je pousse la porte en bois verni et tire ma valise jusqu'à mon lit. J'allume ma lampe de chevet et pose mon téléphone sur les draps marron de mon lit. J'ai pris un lit double, on ne sait jamais ! Je pose ma valise par terre, sur le parquet peint en blanc et en sort ma trousse de toilette. Je prends mon démaquillant et ma brosse à dents et cours en vitesse dans la salle de bain. J'ai tellement envie de m'endormir entre ces draps bruns si accueillants !

Je brosse mes dents en vitesse puis libère mes cils de leur couche habituelle de mascara. Le coton rejoint la poubelle encore vide et ma brosse à dent ainsi que mon dentifrice repartent dans ma trousse de toilette. J'enfile en vitesse un T-shirt faisant office de pyjama et me glisse entre les draps merveilleux de mon lit.

Je sens que je vais tellement bien dormir, que je vais oublier de me réveiller demain !

*

*          *

" Le regard de la fillette est plein d'espoir. Même au bout de dix ans de violence, elle est fière de ses parents. C'est comme ça qu'ils lui montrent qu'ils l'aiment, voilà tout. Ses petits camarades sont seulement trop idiots pour comprendre. Elle le sait, sa maman le lui a dit... "Tu es bien trop idiote pour comprendre..." Depuis que ces mots ont étés prononcé, elle a réussi à comprendre, mais pas les autres. Ils sont idiots, sa mère a raison.

Son regard observe et détaille les traits rugueux du visage de celle qui l'a mise au monde. Sa mère est brune, comme elle. Sauf que ses cheveux sont parfaitement bruns tandis que ceux de sa maman sont parsemés de fils argentés. La petite fille est persuadée que les tissus d'argents sont fait avec ça, comme la robe de princesse argentée que lui a offerte sa grand-mère juste avant de mourir pour ses quatre ans... Celle que son père a jetée, prétendant qu'elle n'était pas une princesse, et que seules les princesses pouvaient porter cette robe. Peut-être qu'il était allergique aux fils d'argents, c'est pour ça qu'il a jeté la robe. Après tout, sa grand-mère n'était pas une princesse, mais c'était pourtant sa robe avant... Oui, décidément, l'excuse de son père ne tenait pas debout !

– Qu'est-ce que tu regardes, lui demande sèchement sa mère.

– Rien maman, je rêvais, ment la fillette.

Elle sait qu'elle ne doit pas dire à sa mère qu'elle la regarde. C'est méchant, selon elle, et très impoli. Alors elle invente des excuses, parce qu'elle veut rendre sa mère fière.

– Papa rentre bientôt ? S'enquit l'enfant en haussant les sourcils.

– Arrête de parler de papa, tu sais très bien que ce n'est pas un sujet de discussion qu'on a avec sa mère !

– Tu crois qu'il m'aime ? Demande la jeune fille avec un regard plein d'espoir.

– Ce n'est pas à moi de te dire ça, si tu étais plus intelligente tu le saurais...

– Je n'arrive pas à être plus intelligente maman, mais tu sais, à l'école ils ne sont pas intelligents non plus, ils sont comme moi...

– Souviens-toi de ce que j'ai dit, répète-le moi.

– Je ne vous mérite pas... soupire la fillette avec une larme qu'elle se retient tant bien que mal de verser.

– Voilà ! Maintenant laisse-moi, va dans ta chambre, soupire la mère avec un regard hautain et glacial.

Elle trouvait les humains bizarres, ses parents étranges... Depuis sa naissance, il lui semblait que quelque chose clochait. Mais elle n'arrivait pas à comprendre quoi... Et puis finalement, elle se disait que ça ne lui importait pas vraiment. Elle se contentait de vivre sa vie, seule dans sa chambre exiguë et mal ajourée. Elle n'était pas si malheureuse, seulement, elle s'inquiétait pour sa mère... Elle se comportait bizarrement quand la jeune fille parlait de son père. Comme si elle avait peur. Elle se braquait et ne voulait surtout pas en parler.

Son père, lui, il n'était pas vraiment là... Elle ne le voyait que rarement, et quand elle le voyait, sa mère disait qu'il n'était pas lui-même. La fillette en tira donc la conclusion suivante :

– Papa est contrôlé par un démon venu des enfers, même si papa essaie de lui échapper, le démon prend possession de son corps..."

– Si seulement tu savais... soupiré-je dans mon sommeil.

Les contours sombres de la chambre d'enfant s'estompent doucement, afin de laisser la place à celle de mon hôtel. Je passe une main sur mon visage, de mes tempes perlent quelques gouttes de sueur. Je n'en peux plus de voir ça, cette innocence...

J'ai envie de me crier, dans ses moments, de partir ; loin, bien plus loin que dans une chambre. J'ai envie de me dire d'arrêter de croire et d'admirer le monstre qui se trouve en face de moi. Mais quand je me vois, si naïve, entre les griffes de ces fous sans pitié, c'est la peur qui me tétanise, m'empêchant de sauver l'enfant que j'étais. J'ai envie de vomir, quand je me revois, admirative et compréhensive face à mes parents. Je m'en veux, d'avoir cru en eux si longtemps.

J'avais raison, mon père était bel et bien contrôlé par un démon, seulement, il ne venait pas des enfers, les hommes le faisaient... 

AdrénalineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant