CHAPITRE 17

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Version relue et améliorée

Assise dans les gradins, je détaille les courbes du circuit s'offrant à moi. Aujourd'hui c'est le grand jour, le premier de la compétition. Je suis si excitée à l'idée que Carter vienne me voir piloter que j'en oublie même l'enjeu principal de la course : prouver qu'une femme peut-être qualifiée pour les championnats du monde. J'espère vraiment qu'il pourra monter dans la loge avec Jérôme, j'aimerai tellement l'entendre me parler...

Mon coeur se serre dans ma poitrine à cette pensée, à l'image de mon ventre se contractant. Je n'arrive pas à déterminer la source de ces douleurs physiques. D'un côté, je me dirais bien qu'il s'agit d'un stress dû aux enjeux féministes et aux possibilités d'avenir qui s'offriraient à moi si je gagne; mais d'autre part, dès que je pense à Carter, au fait qu'il ne soit plus là, je ressens ça. Et pourtant, je n'ai pas à chaque fois une course de cette importance ! Ces sensations me suivent depuis qu'il m'a proposé de venir me voir durant la course. Au début, j'ai pensé à consulter un médecin; qui sait, j'étais peut-être atteinte d'une maladie liée à l'estomac dont je ne soupçonnais pas l'existence... J'en ai parlé à Alice, la femme de Jérôme, alias ma confidente en cas de "problèmes de filles" comme se plaît à dire mon entraîneur. Je me souviens encore parfaitement de sa réponse, je médite dessus à mes heures perdues : "Ça, ce n'est pas un problème de filles; je dirais plutôt qu'il s'agit d'un problème de femmes... Un jour, la réponse à ces maux de ventre te semblera si évidente que tu riras de ton innocence."

Merci Alice pour ces paroles très spirituelles... Dois-je te rappeler la note de que j'ai eue en philo au bac ?

- Noémie, vas t'échauffer ! Me crie Jérôme, me tirant de l'état second dans lequel je me trouvais.

Ce dernier est en train de discuter avec d'anciens amis il me semble. Moi je préfère rester loin d'eux, je n'ai vraiment pas envie de discuter avec des gens en ce moment. En fait, je suis très stressée, et je n'ai qu'une envie : que la course commence. Je soupire en me relevant des gradins, l'esprit engourdi par des pensées bien trop profondes avant un départ de course. Je descends les escaliers des tribunes et pars au pas de course m'échauffer dans la salle de musculation. Je ferme la porte à clef derrière moi, les autres trouveront une autre salle, je n'ai certainement pas envie de partager la pièce avec les hommes qui courent avec moi. J'en ai déjà subies des remarques dénigrantes prononcées juste avant le départ dans le but de bien me mettre la pression. C'est fou comme ils m'impressionnaient, à l'époque où j'étais encore assez idiote pour les laisser entrer. Ils étaient une dizaine, et j'étais seule avec John et Zach. A l'inverse de maintenant, l'avis des autres m'importait, je me laissais influencer très facilement. J'étais persuadée de ne rien connaître de la vie, je remettais absolument tout en question, y compris le jugement des autres. Merci papa, merci maman !

Je me rappelle avoir demandé à Jérôme si j'étais réellement à ma place ici, tout me faisant penser le contraire. Quand il m'a répondu que oui, mon but dans la vie est devenu clair; prouver que j'étais à ma place dans cet univers sexiste. Cela fait bientôt dix ans que je m'y atèle, ça me fait du bien d'avoir un but, d'exister pour quelque chose.

Je commence à m'échauffer, sans quitter l'océan des yeux à travers la fenêtre. L'écume des vagues forme des nuages à la surface de l'eau. Tout est tellement différent de New York ici ! Le Pacifique et l'Atlantique ont beau être des océans, ils sont diamétralement opposés. Mais j'aime bien la côte ouest aussi. Les plages sont immenses et l'océan donne envie de prendre un bateau et de naviguer à pleine vitesse sur l'étendue bleue du Pacifique. J'adorerais faire ça avec Carter demain, avant qu'il ne s'en aille... Il repart dans deux jours, il ne pourra malheureusement pas assister à ma deuxième course.

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