Après une telle entrée en scène dans la classe, il était surprenant d'observer le silence qui s'était installé parmi les élèves. C'était bien la première fois qu'ils observaient devant eux une personne dont il ne faisait nul doute qu'elle provenait réellement d'Organtia. Et malgré cela, lorsqu'elle s'était présentée à l'assemblée, elle n'avait démontré aucun accent dans sa prononciation. Tous les regards étaient tournés vers elle et cela incluait également celui d'Annabelle.
Par cette nouvelle intervention, cette dernière était complètement sortie des pensées de ses camarades. La nouvelle venue prit ensuite place au fond de la salle à l'une des dernières tables disponibles, située seulement à quelques mètres de la Croisée.
Sans trop en comprendre la raison, Annabelle eut le réflexe de tirer sa manche pour dissimuler la marque dessinée sur sa chair. Elle avait pourtant affaire à une personne qui lui était presque semblable et malgré cela, elle éprouvait le besoin de conserver un peu de distance avec elle.
Elle chercha du regard sur la silhouette près d'elle la fameuse marque, mais si cela s'avérait être le cas, la Croisée était incapable de le deviner en raison de l'épaisse couche de vêtements qui recouvrait l'Organtienne.
On n'entendit plus la voix de celle-ci durant toute l'heure que durait le cours. Elle écoutait d'une oreille attentive les paroles de l'enseignant et prenait peu de notes. Ses grands yeux semblaient s'abreuver du discours sans laisser paraître la moindre fatigue ou une once d'ennui.
À bien des moments, Annabelle jetait des coups d'œil vers elle. Elle décryptait chacun des détails de cette fille si particulière, si inédite dans cette contrée.
Que venait faire une famille Organtienne à Wakeford ? C'était la question que chacune des personnes présentes dans la pièce devaient s'être posée depuis le début de ce cours.
Annabelle ne parvint pas à se concentrer sur son exercice. Cette nouveauté avait quelque chose d'oppressant. Non pas que ne plus être la seule tâche dans ce joli cadre de vie ne l'embêtait, mais elle s'inquiétait du sort qui attendait cette demoiselle. L'Organtienne semblait bien sûre d'elle et motivée, sûrement parce qu'elle n'avait pas encore fait face à la dure réalité de Wakeford.
« Pauvre innocente », la plaignit Annabelle intérieurement.
Puis l'heure de cours s'écoula, lentement, et lorsque la sonnerie indiqua à tous la libération, Annabelle franchit la porte la première. Elle reprenait encore cette cape de fantôme et se fondit dans la foule comme elle le faisait toujours si bien.
Elle descendit à la hâte un étage et regagna son casier. Une heure de calme l'attendait, ainsi qu'un bon roman qu'elle absorberait dans un coin tranquille. Elle frétillait intérieurement d'impatience à l'idée de découvrir la suite de cette histoire qui l'occupait depuis des jours.
Or, devant elle, une silhouette familière se dressa, l'arrêtant dans son avancée. D'ordinaire, elle l'aurait esquivé pour ne pas le bousculer, mais ce jeune homme s'était consciemment arrêté devant elle.
- Salut, j'aurais besoin d'un peu d'aide.
Sa voix était presque suppliante. Curieuse d'être abordée de la sorte, Annabelle leva les yeux vers ce visage inconnu, vers cet adolescent à peine plus grand qu'elle dont les traits lui donnaient un air angélique, comme s'il était la candeur incarnée.
Voyant qu'elle n'allait pas l'éviter, celui-ci s'empressa de lui tendre un bout de papier.
- Je suis nouveau dans le coin et je ne comprends rien à ça. C'est un vrai labyrinthe ici.
La Croisée déchiffra les lignes de la feuille d'un regard attentif sans plus prêter attention au visage de son interlocuteur. Il s'agissait là de son planning de cours, indiquant l'heure et la salle à laquelle il devait se rendre. Par chance, pour son cours suivant, sa destination était toute proche, au détour d'un prochain couloir qu'elle lui désigna en vitesse.
Un large sourire se dessina alors sur le visage candide de l'étudiant. Les yeux d'Annabelle s'écarquillèrent, surprise de découvrir ce décalage bien particulier entre ses deux incisives, un diastème – plus communément appelé « dents du bonheur ». Cela accentua davantage plus son air enfantin. On aurait dit que tout chez lui était ordonné afin de réduire le plus possible sa maturité. Que ce soient ses cheveux bruns en cafouillis, ou bien ses yeux de même couleur, si pétillant de vie.
Un sentiment de déjà-vu parvint à Annabelle qui dut réprimer une exclamation. C'était ce même garçon qu'elle avait aperçu plus tôt dans le couloir. Cet adolescent si peu vêtu pour la saison qui avait dévisagé son casier. L'expression enthousiaste sur son visage n'avait rien à voir avec la répugnance démontrée auparavant.
Se ressaisissant alors, elle lui tendit sa fiche, le regard bas. Mais pendant son mouvement, un nouveau groupe de personnes passa à côté d'elle, l'obligeant par réflexe à s'éloigner d'un pas brusque. Cependant, dans son agitation, la manche de sa veste se tira quelque peu, mettant en évidence la marque sur son poignet, sous les yeux du nouvel élève.
Ce dernier n'eut pas le temps d'exprimer quoique ce soit qu'elle le quittait déjà, sans se retourner. Elle était tellement crispée que sa démarche était semblable à celle d'une poutre à laquelle l'on aurait greffé des jambes. Une fois arrivée à son casier, elle jura silencieusement, le rose lui montant aux joues.
Elle était gênée d'avoir agi ainsi, et surtout surprise de voir le nombre de nouvelles têtes qui s'étaient succédé en une journée. À croire qu'une foule migratoire envahissait la région.
Progressivement, le couloir se vida, la laissant seule face à la boîte d'acier, dont l'ouverture détraquée la faisait ruminer d'impatience. Au bout du sixième essai, il autorisa enfin son accès et permit à la jeune Croisée de saisir son bien tant désiré. Son pouce effleura délicatement le titre en relief du roman, traduit d'une légende Organtienne. Bien qu'elle ne connût que peu de choses sur l'histoire de ce monde, Annabelle était fascinée par ce conte interminable, révélant à son esprit si embrumé l'histoire d'une des plus célèbres guerrières, du temps où les Classés n'existaient pas.
Elle prit place au même endroit où elle se trouvait, ne craignant pas qu'on puisse la déloger. Qui voudrait adresser la parole à cette sale Croisée d'Annabelle ? De toute manière, il faisait bien trop froid à l'extérieur, et la bibliothèque ne l'aguichait guère.
Plongée alors dans sa lecture, c'était comme si le monde autour d'elle disparaissait. Par conséquent, elle ne vit pas passer en coup de vent la silhouette d'un jeune homme de son âge à la mine renfrognée. Il marchait tellement vite que lorsque la Croisée releva la tête, seul un surveillant apparut dans son champ de vision, tout aussi énervé que celui qu'il poursuivait.
- Jeune homme, veuillez tout de suite revenir ici avant que j'appelle votre tutrice, tonna-t-il en courant presque.
Finalement, l'élève semblait l'avoir semé puisque le surveillant revint en arrière, grommelant fortement.
- Saleté d'Alien. Si ça n'avait tenu qu'à moi, vous n'auriez jamais mis les pieds dans cette ville.
Cette injure titilla Annabelle qui déroba son regard de sa lecture. C'était surtout l'information qu'elle contenait. Un autre Organtien que Cemalis dans le lycée ? Du moins, il y avait, puisqu'il venait brusquement de quitter les lieux. Mais une chose était incontestable, Annabelle était loin d'être seule désormais dans cette vaste région.
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Annabelle Storm - L'héritière d'Organtia
Science-FictionAprès 40 ans d'Alliance avec Organtia, une adolescente marginale et insomniaque voit sa vie bouleversée par la venue de nouveaux intrigants. * * * * * * * * Habitant dans une ville réfractaire à l'évolution du monde, incluant l'Alliance faite avec O...