Chapitre 22 - La chair embrasée

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Un sentiment d'angoisse remonta le long de l'échine d'Annabelle lorsqu'elle arriva sur le parking du lycée. Au volant de sa voiture de location, lunettes de soleil sur le nez, personne ne la reconnaissait. Sa respiration était haletante. Elle voyait passer devant elle tous les élèves qui l'avaient pointé du doigt à de nombreuses reprises, sans se soucier de son mal-être. Alors elle attendit, Jude assis à ses côtés.

Son regard chercha parmi la foule cette fameuse tête à la chevelure rouge flamboyante. Il faisait chaud et le ciel était parfaitement dégagé. Il était impossible de ne pas la discerner. Cemalis n'était toujours pas au courant de son retour en ville et elle tenait à lui faire la surprise et voir l'expression de son visage alors qu'elle l'apercevrait.

Mais c'est une tête brune reconnaissable qui attira son regard. Thomas venait d'apparaître dans son champ de vision, sortant de la voiture de sa mère. La jeune Croisée ne put étouffer une exclamation en remarquant le visage tuméfié du garçon. Sa lèvre était fendue en deux parties, sa mâchoire soulignée d'un hématome gonflé et des points de suture ajoutaient un contraste à l'ensemble. Elle quitta précipitamment le véhicule, marchant d'un pas assuré et décidé.

Pour son plus grand bonheur, elle avait conservé ses réflexes de fantôme et faisait onduler sa silhouette parmi la foule, comme si elle n'avait jamais été là -les vieilles habitudes ont la vie dure. De plus, elle portait des vêtements quelque peu différents. Ayant eu peu de bagages avec elle lors de son départ, elle avait complètement refait sa garde-robe et arborait des vêtements plus visibles, mais suffisamment passe-partout pour qu'on ne relève pas sa présence.

Ses jambes survolèrent les marches, puis elle se faufila dans l'entrée, cherchant du regard le visage tuméfié de son ami. Par habitude, elle tira sa manche pour recouvrir son poignet, mais ne prit pas la peine de dissimuler celle de sa nuque. Tout comme elle auparavant, personne ne devait connaître sa signification, alors elle n'avait pas à être préoccupée de cela.

Elle reconnut son dos, sa nuque, ses cheveux ébouriffés, la chaleur qu'il dégageait. Son rythme s'emballa alors qu'elle s'approchait un peu plus de lui. Il marchait tête baissée, d'un pas lent et lourd. Tous s'écartaient pour laisser passer cette silhouette sinistre qui déambulait dans ce couloir en exposant aux yeux de tous les stigmates sur sa chair.

Quelques pas derrière, Annabelle ralentit. Elle se rappela l'avoir laissé en plan, l'avoir abandonné. Il avait toujours été là pour elle et elle lui avait tourné le dos sans donner de nouvelles, sans répondre à ses appels. Il avait fini par abdiquer.

Cependant, elle ne voulait pas commettre une deuxième fois la même erreur. Le rattrapant, elle vint déposer sa main sur son épaule pour l'arrêter et le faire retourner. Elle voulait qu'il la reconnaisse au son de sa voix avant tous les autres. Son cœur palpitait de plus belle.

Mais, trop absorbée par l'idée qu'elle se faisait de leurs retrouvailles, elle ne prédit pas sa réaction véritable. Alors que sa main se déposa contre lui pour le freiner, elle ne remarqua pas la pression qui s'exerça sur celle-ci. Le jeune homme avait fait volte-face et s'était emparé du membre de son interpellant sans aucune retenue, sans réprimer la chaleur qu'il produisait.

Sur le visage de son vis-à-vis, Annabelle voyait de la crainte. L'angoisse de Thomas était telle qu'il ne contrôlait plus ses gestes et laissait la direction de ses réflexes à ses plus bas instincts. Une longue seconde s'écoula entre le moment où il reconnut les traits de son amie avant qu'il ne se déforme et le moment où il comprit qu'il brûlait son épiderme sans la lâcher.

Elle-même mit du temps à réagir. Et lorsque ses capteurs transmirent enfin le message jusqu'à son cerveau, un cri de détresse vrilla ses cordes vocales pour dénoncer l'intensité de la douleur qui transperçait sa main. Ce n'est qu'à cet instant-là qu'il rompit leur contact. Elle descendit son regard vers sa main dont la peau rougissait à vue d'œil et où des cloques se formaient de toutes parts, de la base de son poignet jusqu'aux premières phalanges. C'était comme si on l'avait plongé dans un bain de friture. Elle peinait à remuer les doigts et sa bouche ne laissait à présent passer que des sanglots plaintifs alors qu'elle soutenait son poignet, n'arrivant pas à atténuer la douleur.

Attirée par le hurlement, une foule immense se dressa autour d'eux, mais Annabelle n'y fit pas attention. Thomas défaillit en voyant la silhouette qui tomba à genoux devant lui, les lunettes de soleil tombant dans un fracas sourd. La flamme dans la paume de sa main venait à peine de s'éteindre. C'est seulement à ce moment-là qu'il prit conscience de son acte, du mal qu'il venait de faire à son amie.

- Anna... Je ne voulais pas, bredouilla-t-il. Ce n'était pas...

Il chercha à se pencher vers elle, ne supportant plus les sanglots qui s'échappait de sa bouche. Mais une sorte de mur invisible s'était dressé entre eux. Il ne pouvait plus avancer, ni essayer de la toucher. Quelqu'un bloquait sa course. Il comprit qu'elle n'était pas venue seule. La foule s'écarta pour laisser passer Jude, accompagné de Cemalis. Tous deux s'étaient croisés dans l'entrée, le tatoué se faisant alors semer par la Croisée, mais ils n'eurent pas le temps de discuter que le hurlement résonna dans le couloir.

- Ne t'approche pas d'elle ! lui interdit Jude avec colère. Et vous autres, dégagez !

Avant qu'il ne s'énerve pour de bon, la foule se dispersa tandis que Cemalis s'agenouilla près d'Annabelle et sortit une bouteille d'eau de son sac.

- Ça va aller, ma belle, la rassura-t-elle tout en essayant de garder son calme.

Mais Annabelle n'avait aucunement conscience de ce qui se déroulait autour d'elle. Sa main la faisait atrocement souffrir. Ses yeux et ses joues étaient rougis par les larmes et elle peinait à reprendre son souffle. Elle se mordait la lèvre inférieure et se débattit que ne plus laisser passer aucun son qui s'apparenterait à un sanglot. Le choc lui faisait perdre toute notion du temps. Elle ne savait pas si quelques secondes ou plusieurs minutes s'étaient écoulés depuis qu'elle s'était laissé tomber au sol. Elle leva les yeux pour ne plus entrevoir sa chair brûlée et vit une chevelure rougeâtre passer près de son visage pour ensuite distinguer les immenses yeux de Cemalis. Mais un son plus violent attira son attention devant elle.

Tout semblait se passer au ralenti. Jude et Thomas étaient pris dans une dispute des plus féroces. Mais avant qu'elle ne puisse entendre le moindre mot sortant de la bouche de l'un des deux, Cemalis déversa doucement le contenu de sa bouteille qui entra en contact avec l'épiderme meurtris de la Classée. Le choc thermique fut d'une violence sans précédent. Une douleur aiguë remonta et elle eut toutes les peines du monde à maintenir son cri. Cemalis était forcée de maintenir elle-même la main de son amie en la saisissant fortement à l'avant-bras, quitte à rajouter un hématome.

Annabelle était secouée de tremblements. Elle essayait de conserver son attention sur les deux garçons qui se disputaient ouvertement devant elles et leurs autres camarades pendant que Cemalis continuait de verser l'eau sur sa main. Quelques cloques avaient cédé, sa chair était à vif et de la peau pendait mollement. Le résultat donna des nausées à la jeune fille. Son corps ne put en supporter plus. Un léger tournis la prit et ses yeux se fermèrent tandis qu'elle sentait son corps défaillir et s'étendre sur le sol froid du couloir.

Annabelle Storm - L'héritière d'OrgantiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant