Chapitre 29 - La mémoire dans la brume (1)

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Jude ne décollait pas son regard de la chaise laissée vide par Annabelle à côté de lui. Venir en cours quelques jours après l'interrogatoire semblait pourtant être la seule chose capable de les faire se sentir comme d'ordinaires adolescents. Seulement, Annabelle s'était refermée sur elle-même comme une huître et le tatoué avait passé l'entièreté du weekend à subir le harcèlement de Thomas et Cemalis, réclamant des explications sur la fameuse « brume » énoncé par Bejörk.

Autour de lui, les élèves murmuraient à son propos. Il percevait l'animosité à son égard et aussi les interrogations sur l'hématome qui tâchait sa mâchoire. Il rabattit sa capuche sur sa tête et enfonça son regard sur son pupitre, cherchant à focaliser son attention sur le cours dont il n'éprouvait aucun intérêt. Il avait eu bien assez de temps de lire le manuel en entier quelques mois auparavant.

Il ne cessait de repenser aux mots de Bejörk à son égard. « La méfiance est une seconde nature chez toi ». Dans sa main, son stylo céda à la pression exercée par son pouce. Le Marionnettiste l'impressionnait par sa capacité à faire naître en lui ce sentiment malaisant d'être percé à jour, alors que lui avait passé ces dernières années à vouloir faire disparaître ses émotions. Il éprouvait de la culpabilité. Depuis son retour de San Francisco il s'était retrouvé incapable de parler franchement à Annabelle. Il avait manqué d'honnêteté et aujourd'hui il en payait le prix.

Dès lors qu'il quitta la salle de classe à l'heure du déjeuner, une tignasse rouge fondit sur lui et s'éleva à sa hauteur, les pieds dans le vide. Elle le fixait de ses immenses yeux avec une telle intensité qu'elle en louchait. Il rit intérieurement.

- C'est quoi, la brume ?

- On peut dire que tu n'y vas pas par quatre chemins.

Elle se laissa atterrir au sol mais ne décolla pas son regard du tatoué.

- Je sais qu'on n'est pas partis du bon pied, toi et moi, mais pour que ça fonctionne, il faut être sincère entre nous.

- Oh, arrête ton char ! Ça t'arrange de te la jouer bonne copine avec moi pour me soutirer des infos. Il y a trois jours, t'as essayé de me zigouiller.

- Il y a trois jours, je n'étais pas moi-même, rectifia-t-elle. De plus, j'admets avoir eu du mal avec toi et c'est entièrement de ma faute. J'ai préféré fier mon jugement à des préjugés stupides alors que nous sommes nous-même victimes d'ostracisme.

- Je ne savais pas que tu connaissais ce mot, souligna Jude avec un sourire narquois.

- Il se pourrait que j'aie préparé un argumentaire pour te convaincre, avoua la jeune fille. Est-ce qu'il t'a convaincu ?

- J'avoue que te voir me supplier depuis des jours après avoir vécu une exclusion sociale de ta part me plait assez.

Son expression faciale se ferma dès lors qu'il remarqua les regards indiscrets autour d'eux, surtout à l'entente de l'Organtien franchissant leurs lèvres ajouté à leurs visages reconnaissables. L'exubérance de Cemalis était déjà assez tape-à-l'œil mais la voir flotter aussi haut et élever la voix aussi clairement mettait en danger leur récente collaboration avec le Marionnettiste. Il rabattit un peu plus sa capuche et ses cheveux vers l'avant.

- Ce n'est pas que je ne veux pas te le dire, lui souffla-t-il tout bas, mais c'est assez délicat. C'est pas un truc qu'on peut raconter à tout le monde.

- Annabelle est ma meilleure amie, déclara Cemalis en se rapprochant un peu plus de lui. Je ne veux que son bien et sa sécurité. Crois-moi, si je te demande ce qu'est cette chose, c'est pour pouvoir l'aider.

Annabelle Storm - L'héritière d'OrgantiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant