Annabelle Storm - L'héritière d'Organtia

Chapitre 37 - Bouclier humain (2)

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Annabelle avait l'impression d'imploser, que son cerveau était incapable d'emmagasiner tout ce flot qui la submergeait contre sa volonté. Ces images n'étaient pas nouvelles, mais plutôt un genre d'anciennes connaissances. Elle n'était juste pas prête à les revoir. Ce n'était pas le moment. Et pourtant, une larme parmi toutes celles qui inondaient ses yeux ne provenait pas de son amertume face à son impuissance. Elle réalisa néanmoins qu'une partie de sa vie ne lui avait pas été enlevé, mais plutôt dissimulée. Ce visage qui lui était auparavant si flou apparu nettement dans son esprit. La sensation de ses joues piquantes contre les siennes, ses yeux vert-gris qui lui communiquait l'importance qu'elle avait pour lui et ce parfum de cannelle qu'il dégageait. Annabelle avait toujours cru avoir été élevée par sa mère sans se soucier que sa vie n'était qu'un mensonge, un simulacre pour dissimuler les atrocités de son enfance. Ces actes l'avaient conduit à fuir dans les bras de sa mère, laissant son père s'occuper de les maintenir en sécurité.

Sa vision se troubla et elle vacilla pour tomber à genoux, sans percevoir les cris de son ami. Sa mémoire fit apparaître les étranges effluves de la maison, à l'heure du repas, ainsi que du visage de son père, peu rassuré à l'idée de devoir avaler l'étrange préparation de son épouse. Ses joues se rappelèrent la texture des cheveux de William lorsqu'il la portait sur ses épaules. Son odeur réconfortante et sa voix mélodieuse qui la berçait tout en regardant les constellations. Parce qu'il n'avait jamais connu ses parents, son père s'était engagé à la couvrir de tout son amour et de la protéger jusqu'à la mort.

Le cœur de la jeune fille se serra dans sa poitrine en revoyant les larmes coulant à flots sur son visage maculé du sang qui n'était pas le sien. C'étaient là ses derniers instants avec lui. Jamais elle ne l'avait vu aussi anéanti. Ce dernier jour, il se séparait de sa famille sans se douter alors qu'il ne reverrait jamais son épouse.

Désormais, elle savait. Elle comprenait les sacrifices qui avaient été faits. Le goût amer dans sa bouche ne s'estompa pas, mais la colère en elle grandissait à vitesse grand V. Car elle revoyait les coups encaissés par sa mère parce qu'elle voulait protéger son enfant. Elle se remémorait le cri de rage franchissant les lèvres de son père en voulant les protéger. Tout cela était arrivé pour une raison. Elle savait en avoir été la cause, malgré les paroles rassurantes de son père.

« Ma petite Anna... Sache que rien de tout cela est ta faute, tu m'entends ? Tu n'as pas à te reprocher ce qui est arrivé. »

Elle était parfaitement consciente d'avoir provoqué la déchirure dans sa famille et que plus rien ne pourrait revenir à la normale. Car douze années s'étaient écoulées. Meryl était morte. Peut-être William l'était-il aussi. Et le regard enragé d'Œlios ne cessait de revenir en flash dans sa tête, avec cette expression déformée et terrifiante qu'affichait son visage. Après tout, il était le dirigeant du clan Dafraechnir, le groupe d'assassin le plus reconnu et célèbre d'Organtia. Il n'était pas le genre à qui l'on refusait quelque chose, mais son père lui avait tenu tête, au péril de sa vie et de celle de sa mère.

Elle porta sa main sur sa nuque, là où elle avait été marquée, le regard toujours dans le vague. L'homme devant elle pointa le canon sur son front avec un rictus malveillant sur le visage.

- Ça n'aura pas été si difficile, finalement, railla l'homme.

Annabelle sentit la colère monter et quand elle rouvrit les yeux, l'image d'Œlios se transposa à celle du mercenaire, ne faisant qu'accroitre sa rancune. Elle repensa à sa mère qui pleura de peur, de douleur, son œil injecté de sang tandis que son père tentait de calmer ses sanglots. Elle savait désormais pourquoi elle ne trouvait plus le sommeil depuis des années. La jeune Classée craignait le retour de l'assassin. À côté de lui, la peur que lui instaurait le mercenaire était bien plus minime. De plus, il y avait toujours Elria, à peine née, dont la vie était également menacée.