Chapitre 20 - Entrevoir la fin

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Lorsqu'il voulut prendre une brique de jus de fruit dans le frigo, le regard de Jude lorgna sur le chèque sous l'aimant ainsi que ses nombreux chiffres alignés comme s'ils étaient le mot de passe de l'arme nucléaire. Il les fixa avec intensité avant de prononcer les mots qui lui torturaient l'esprit depuis la veille au soir.

- Tu comptes encaisser cet argent un jour ?

- Pas tant que je ne saurais pas d'où il vient. Et je te prierai de ne pas boire directement à la brique. On est des gens civilisés dans cette maison.

Si elle l'avait vu faire plus tôt, l'adolescent aurait attrapé un verre et se serait résigné, mais au lieu de cela, il repositionna la brique à sa place après s'être satisfait de sa fraîcheur.

Derrière lui, Annabelle avait le nez empêtré dans la paperasse pour régler les derniers détails de la succession. Elle relut plusieurs fois le même paragraphe avant de jeter son stylo sur la table dans un soupir qui voulait en dire long.

- Je hais l'administration. Je m'attendais à un truc du genre : « Tenez, voilà votre maison et tout ce qui va avec » et pas « remplissez ces soixante-douze formulaires et ensuite, on vous tiendra au courant sous treize ans pour vous communiquer l'état d'avancement de la procédure ».

À en voir l'écarquillement des grands yeux de l'adolescent, elle sentit le besoin de se rattraper.

- C'est pas ce qu'ils m'ont dit, je plaisantais. Ne prends pas au pied de la lettre tout ce que je dis.

- Je peux te donner un conseil ?

Elle haussa un sourcil et lui porta toute son attention.

- Si j'étais toi, j'encaisserais le pognon et je paierai quelqu'un pour faire ma paperasse.

La Croisée ne put réprimer un sourire devant l'innocence dont il était capable. S'il n'était pas tant recouvert de graphismes indélébiles, Jude pourrait ressembler à n'importe quel adolescent de son âge. Et bien que les traits de Thomas soient très enfantins, elle pouvait légèrement remarquer une différence entre les deux qui prouvaient que Jude était plus jeune. À quelques semaines près, Annabelle aurait été son aînée d'une année. Mais c'était bien son expérience de la vie qui lui donnait cette maturité déconcertante lorsqu'il s'agissait d'agir dans un moment de panique. Il avait un vécu de la vie qui avait forgé son caractère et son corps pour le rendre encore plus dissemblable des autres garçons. Elle était curieuse de connaître les facettes de sa personnalité.

- L'autre jour, en classe, tu as dit que tu avais perdu tes parents.

- Ça fait un bail, répondit-il en se servant dans les céréales à la main. Je dirais que ça doit faire cinq ans, à quelques brouettes près.

- Seulement cinq ans ?

- J'ai eu le temps d'm'en remettre. Tu t'es remise de la mort de ta mère, toi, rétorqua-t-il en portant les céréales à sa bouche.

- J'ai eu une plus grande marge de manœuvre.

Elle se tut un instant, constatant qu'il n'y avait pas lieu de débattre sur un tel sujet. Le tatoué s'est assis sur le plan de travail avec la boîte multicolore sur les genoux et dévorait avec avidité le produit sucré, généralement destiné à un public plus jeune.

- Comment c'est arrivé ? osa-t-elle demander en appréhendant sa réaction.

- Tu veux savoir comment ils sont morts ?

Elle hocha timidement la tête.

- C'était un simple accident de la route. Le genre de truc bête qui peut arriver à n'importe qui. Mes parents sont morts sur le coup et ma sœur a succombé quelques jours après.

Annabelle Storm - L'héritière d'OrgantiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant