Chapitre 15 - La condition d'Aurélia

2K 239 21
                                    

Si Jude ne conserverait aucun souvenir de ce qu'il s'était passé, cela n'était pas le cas d'Annabelle. Elle se remémorait chaque instant, la terreur sur le visage du tatoué, son corps s'écroulant sur le sol et surtout, ce moment où tous ses souvenirs l'avaient submergé. Elle se demandait quel intérêt ces femmes avaient-elles à sonder leurs souvenirs et surtout la raison pour laquelle elles n'avaient pas effacé sa mémoire. Puisqu'elle l'avait fait pour le jeune homme, pourquoi devait-elle se souvenir ?

Elle était rentrée chez elle en panique, avec la terrible sensation d'avoir abandonné le jeune homme comme on abandonne un soldat blessé.

Songeuse, elle repensa au conseil qu'on lui avait donné.

« Si j'étais vous, je ne resterais pas ici dans cette ville » répéta la voix dans sa tête. Il y avait certainement un sous-entendu dans cette affaire, mais elle était incapable de le saisir.

Elle attrapa son téléphone et constata qu'il était encore tôt. Ni Thomas, ni Cemalis n'étaient sortis de classe. Elle hésita tout de même à les joindre. Ils courraient peut-être également le même danger. En y repensant plus profondément, les deux femmes cherchaient sans doute quelque chose, un souvenir particulier. Cela n'éclaircissait peut-être pas tous les points de l'histoire, mais ça restait une option tout à fait plausible.

L'avertissement résonnait dans son esprit. C'était presque une sorte de menace.

- Que se passera-t-il si je reste ? s'interrogea la jeune fille tout haut.

Elle se posa sur son lit et tenta d'organiser au mieux ses pensées, remettant en ordre les événements pour en tirer un maximum de détails.

- J'étais dehors, commença-t-elle, quelqu'un est arrivé derrière moi et a pris le contrôle de mon corps. J'ai marché jusqu'au lac et j'aurais dû mourir noyée... Mais Jude a retrouvé ma trace. Et il est venu me sortir de là avec Thomas.

Elle se releva d'un seul coup, pensant avoir trouvé un indice.

- Elles m'ont probablement sondé pour savoir qui a cherché à me nuire, et peut-être qu'elles ont cru que Jude l'avait également vu.

Seulement une chose étrange empiétait sur sa théorie.

- Mais ça n'explique pas pourquoi elles ont sondé entièrement ma mémoire.

Elle soupira d'agacement.

« Pars ! », ce mot résonnait dans son esprit.

Où irait-elle ? La seule personne capable de l'accueillir dans ce monde était George. Elle avait bien prévu de partir, après la remise des diplômes, seulement elle n'avait rien organisé.

Dans un élan de réflexion, elle se leva et fit les cent pas dans sa chambre. Elle frotta ses joues, se gratta la nuque – qui ne lui avait jamais paru aussi sensible – puis, son regard se porta vers son mur. Sur celui-ci s'entassaient plusieurs photos de famille, derniers souvenirs d'une vie qu'elle aurait aimé poursuivre plus longuement. Sa mère souriait à pleines dents, dans un bonheur aussi merveilleux qu'éphémère. La jeune femme de ce temps-là ne s'imaginait pas mourir avant d'avoir la trentaine. Cela pinça le cœur de sa fille. Puis une idée germa.

- Maman ! dit-elle très fort.

* * *

Annabelle éprouvait assez d'affection envers son oncle pour au moins lui laisser un mot.

« Je pars quelques temps. Ne cherche pas à savoir où je vais. Je t'embrasse. »

Le trentenaire devait tout de même se douter de l'état d'esprit dans lequel l'incident du lac l'avait laissé, accumulant également des années de stress à vivre dans cette ville atroce. En partant, son sac bien chargé, elle orienta son regard vers la maison, l'esprit un peu mélancolique à l'idée de s'absenter sur une longue durée. Une durée indéterminée. La porte se verrouilla derrière elle, dans son petit bruit bien familier, faisant naître en elle une foule d'émotions.

Annabelle Storm - L'héritière d'OrgantiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant