Chapitre 23 - Les conséquences d'un quiproquo

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Assise sur le rocher qu'elle avait apprivoisé depuis des années, Annabelle contemplait les ondulations de l'eau sur le lac désormais dégelé. Le ciel nuageux ne laissait pas entrapercevoir le soleil et le vent soufflait plutôt fortement, mais pas assez pour la déloger de sa place. Elle lui avait presque manqué.

Les jambes rabattues contre sa poitrine, elle avait niché la moitié de son visage derrière et avait recouvert sa tête d'une capuche qui se gonflait de temps à autre lors du passage d'un courant d'air. Ses yeux étaient piquants et rabattre ses paupières provoquait une sorte de sensation de brûlure qu'elle n'appréciait guère mieux. Avec un seul écouteur niché dans son oreille, la voix de Creedence Clearwater Revival faisant divaguer son esprit.

Le calme aurait pu être des plus parfait si une silhouette sombrement vêtue ne venait pas perturber sa tranquillité tout en lançant des cailloux dans le lac. Aussi habile pouvait-il paraître en règle générale, Jude était incapable de produire le moindre ricochet – surtout parce qu'il n'employait pas sa faculté dans sa tâche. Mais il n'en démordait pas. Lorsqu'il se retrouvait à court de munition, il parcourait les bords à la recherche de pierres assez lisse pour lui convenir, sans pour autant trop s'éloigner de sa protégée.

Cette dernière ne décrocha pas son regard de l'horizon. Les collines boisées s'étaient défaites de leur manteau duveteux et arboraient fièrement leur nouvelles couleurs printanières, comme de jeunes filles coquettes exhibant leurs robes de saison. Tout ce que la jeune fille avait à exhiber n'était qu'un énorme bandage qui ne lui permettait plus de remuer ses doigts. L'odeur de chair brûlée de la veille avait laissé place à celle de la crème cicatrisante. Un mélange chimique produit à partir d'une plante Organtienne dont elle n'avait pas retenu le nom. Tout ce dont elle se souvenait, c'était qu'elle allait encore devoir supporter ce mélange poisseux et cet amas de tissus qui la démangeait pendant plusieurs jours. Au mieux, une semaine.

Jude était resté avec elle aussi longtemps qu'il avait pu et avait évité au maximum le moindre contact entre elle et Thomas. Assez de mal avait été commis selon lui. Elle-même n'avait pas souhaité sa présence à ses côtés.

Le vent s'engouffra dans sa capuche et elle frissonna.

- Tu veux rentrer ? demanda Jude qui regardait vers elle à ce moment-là.

Elle secoua la tête. Après avoir passé la majeure partie de sa journée à l'hôpital elle n'avait plus envie d'être enfermée nulle part, et encore moins chez George.

Ce détail lui avait échappé en rentrant. Elle n'avait averti ni ses amis ni son oncle de son retour. L'accueil de l'hôpital s'en était chargé pour elle. Le trentenaire aurait bien aimé retrouver sa nièce en d'autres circonstances. Il était entré dans la pièce au moment où un médecin s'acharnait à retirer toutes les couches de chairs mortes de sa main.

Après avoir récupéré la voiture de location, son oncle lui avait intimé de rentrer chez lui, ne tolérant pas l'idée qu'elle dorme seul dans un hôtel avec une telle blessure. Il avait tout de même eu la politesse de reconduire Jude à la ferme des Walker sans poser trop de question sur leur rapprochement si soudain.

Dans sa propre maison, il ne s'en permit pas plus. Elle avait imaginé que son départ aurait provoqué un peu de changement chez lui et qu'il se serait montré un peu plus proche, mais il n'en fut rien. Alors sortir était la seule chose qu'elle avait trouvé à faire.

- Ies'tok ! cria Jude lorsqu'il réussit à établir un premier ricochet. Olime ? Pardon. Je veux dire, t'as vu ça ?

Elle acquiesça sans un mot avec un petit sourire forcé pour ne pas lui montrer qu'elle n'avait malheureusement rien vu de son premier exploit.

Annabelle Storm - L'héritière d'OrgantiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant