Chapitre 3 - La haine des autres

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Coupant à travers le bois via un chemin de terre, Annabelle pédalait rapidement, le nez bien enfoncé dans son écharpe pour rejoindre rapidement la chaleur de sa maison. Son oncle n'avait pas les moyens de lui offrir une voiture, et cela, même si elle s'avérait être une excellente conductrice. Pourtant de l'argent, elle en possédait. Mais ce compte devait rester clos jusqu'à sa majorité, comme le voulaient les conditions du testament de sa mère.

Pour son avenir, avait-elle écrit à l'époque.

Pour lors, Annabelle se contenta de son vieux vélo et accéléra la cadence dans la pente qui la ramenait sur la route principale. Ne pratiquant aucune activité extra-scolaire, il faisait encore jour lorsqu'elle pénétra dans la petite banlieue où elle vivait depuis bientôt huit ans. Après avoir pédalé pendant plus d'une demi-heure, ce qui était certainement sa seule activité physique régulière, elle s'arrêta dans la petite allée et tourna un regard vers la maison face à la sienne. Elle reconnut la longue chevelure de sa voisine, d'un blond vénitien éclatant. Celle-ci s'afférait à attraper un sac de course rangé plus en profondeur dans le coffre de son véhicule.

- Un coup de main, Aurélia ? lui demanda la jeune fille en arrivant près d'elle.

La blonde sursauta. Elle semblait constamment effrayée par tout ce qui pouvait surgir hors de son champ de vision.

- Oh ! C'est toi, Annabelle ! Je ne t'avais pas vu arriver.

La magnifique femme se tourna vers l'adolescente avec un grand sourire sur les lèvres. D'une beauté à couper le souffle, Aurélia était toujours bien apprêtée, en toute circonstance, et cela malgré son ventre s'arrondissant un peu plus chaque jour. À travers son manteau ouvert, Annabelle pouvait observer la croissance progressive de son enfant.

Sans que la future mère n'émette d'objection, l'adolescente se saisit des sacs les plus chargés afin de la soulager.

Parmi tous les habitants de la région et ceux qui venaient y vivre pour son cadre ambiant si particulier, Aurélia faisait bien partie de ceux qui s'étaient visiblement peu renseignés. Annabelle n'avait jamais autant remercié le ciel le jour où elle avait rencontré sa nouvelle voisine deux mois plus tôt. De toute son adolescence, jamais elle n'avait fait la connaissance d'une personne aussi chaleureuse en bienveillante envers elle. Il était donc tout naturel de l'aider en retour, surtout dans sa condition.

- Tu sais, Annabelle. Je n'en suis qu'au début du cinquième mois. Tu n'as pas besoin de me materner, souffla Aurélia en vidant un des sacs sur le plan de travail. En plus, c'est à peine si on voit que je suis enceinte. On pourrait croire que j'ai quelques kilos en trop.

La jeune Croisée retrouva le sourire avec les paroles de son amie. La seule. Il se trouvait que la belle blonde était un véritable moulin à paroles, et ce n'était pas pour lui déplaire, elle qui était si taciturne et renfermée. Elle buvait ses paroles comme celles d'un prêcheur, aussi futiles puissent-elles être.

Puis le temps passa. Annabelle en vint à faire ses devoirs sur ce même plan de travail tandis qu'Aurélia exécutait ses tâches quotidiennes en fredonnant des mélodies qu'elle ne connaissait pas. Son amie compensait presque le manque de la Croisée, ce trou dans sa poitrine, laissé par sa propre mère douze ans plus tôt.

- Vous êtes bien assidue, mademoiselle Fletcher, fit remarquer Aurélia en jetant un œil à son devoir.

La concernée sentit le rouge lui monter jusqu'aux oreilles, mais elle se rappela l'évidence de ce monde dans lequel elle vivait.

- Au mieux, j'aurais un B, rétorqua-t-elle, bougonne.

- Pourtant ça m'a l'air très bien, répliqua Aurélia en lisant son introduction. J'aime beaucoup la manière dont tu abordes ce point-là. Et cette tournure de phrase, c'est... audacieux.

Annabelle Storm - L'héritière d'OrgantiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant