CHAPITRE DEUX

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Le ciel sans teinte est constellé d'astres pâles comme du lait

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Apollinaire - Crépuscule

  En ce jour, assombri par les nuages menaçants, Créa fumait sa Marlboro. Sur le petit balcon de son appartement au troisième étage, elle se balançait sur une chaise grinçante, tout en s'amusant à dessiner un rond avec les cendres tombées au sol. Créa arborait un sourire timide. Elle souriait à la pluie qui n'allait pas tarder à s'écraser sur le bitume. L'odeur lui chatouillait déjà les narines et le vent, d'un souffle brusque, vint y ajouter celle de la cigarette qui s'éteignait. D'un geste assuré, elle jeta le mégot dans le vide et se prépara à accueillir sa mère dont la voiture grondait en bas de l'immeuble.

  Celle-ci apparut sur le perron de la porte, tenant des sacs de courses remplis à ras bord. Elle abandonna son chapeau de paille et ses lunettes de soleil pour enfiler des chaussettes confortables et s'affaira à ranger ses achats. Créa l'aida pour quelques paquets de céréales et des yaourts, puis s'enfonça dans le moelleux canapé du salon en attrapant un bouquin au hasard.

  « Ma chérie, l'appela la femme aux cheveux aussi bruns que les siens, j'ai oublié d'acheter le lait. Tu peux descendre à la supérette avant que la pluie ne tombe ? »

  Elle n'eut pas besoin de lui répondre et partit aussitôt en claquant la porte, excitée. Même si cela importunait Créa dans sa lecture, rien au monde n'était mieux que de marcher sans parapluie ni capuche quand le ciel grondait. Un soupçon de danger qu'elle aimait, car c'était sous la pluie qu'elle se sentait vivante. Cette eau aux origines inconnues qui frappait son corps la fascinait. Les gouttes qui perlaient sur ses bras la faisaient frissonner. Et celles qui suivaient les courbes de son visage, elle aimait à penser que c'était ses propres larmes, sans le terrible déchirement intérieur qui va avec.

  Elle flâna, prit des détours et compta le nombre de secondes entre les éclairs et le tonnerre. En sortant du petit magasin, elle s'arrêta pour respirer l'air chaud, qui balayait tout de même ses mèches brunes, lui rappelant que l'automne n'était pas pour tout de suite. Elle ferma les yeux une fraction de seconde et imagina ce même décor dans des couleurs orangées et rougeâtres avec un vent frais qui ferait frissonner ses jambes nues. Rapidement, elle les ouvrit à contre-cœur pour qu'on ne la croie pas folle et attrapa plus fermement sa bouteille de lait.

  La pluie se mit à tomber et, encore une fois, la fumée de la dernière cigarette du paquet s'éteignit sous le poids des gouttes perlantes. Le mégot fut aplati sous sa chaussure et elle s'apprêtait à reprendre sa route, lorsque sur le trottoir d'en face une tête familière, à la démarche tangible, retint l'attention de Créa, qui abordait maintenant des yeux ahuris. Sous ce rideau d'eau, Judi, torse nu, son t-shirt reposant sur ses épaules, marchait droit devant lui. Il avançait la tête baissait, zigzaguant entre les passants, sans détourner le regard de ses chaussures qui couinaient.

  Créa pivota rapidement, faisant mine d'admirer le grand écran plasma, exposé dans une vitrine. Elle n'allait tout de même pas le héler, elle ne le connaissait pas assez. Pourtant, elle ne put s'empêcher de suivre son reflet, sur le verre sali par la pluie. Il n'était pas étonnant qu'elle ne l'ait jamais remarqué auparavant. Il se faisait si discret, qu'on ne voyait de lui qu'une ombre difforme. Ce garçon était étrange, mais plein de vie. Il aspirait à quelque chose de plus grand, il aspirait à la liberté.

  Finalement, il pourrait bien l'aider à se sentir moins seule pendant cet été. Maintenant qu'elle avait largué tous ses amis du lycée, il ne lui restait personne avec qui passer ses deux derniers mois dans le patelin. Ce garçon ferait l'affaire, quitte à couper complètement les ponts une fois l'université commencée. Elle ne comptait pas s'attacher de toute façon.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant