CHAPITRE TRENTRE QUATRE

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  « Encore merci de m'accueillir », déclara poliment Créa en mâchouillant son poulet.

  Ils étaient assis autour d'une longue table en marbre, rassemblés tous les quatre sur un côté. Une odeur délicieuse emplissait la grande salle à manger. Un lustre moderne siégeait dans cette immense pièce et d'épais rideaux camouflaient les quelques hectares du parc plongés dans la nuit. 

  « Avec plaisir », lui sourit la mère d'Octave.

  C'était une femme rayonnante et très aimable. Son fils tenait beaucoup d'elle. Tandis que le père, barbu et les cheveux grisonnants, semblait plus fermé. Créa avait du mal à croire qu'il était le patron de la boîte de nuit de la rue Monte-Carlo. Son établissement avait une très bonne réputation aux près de la population aisée de la grande ville et devait bien rapporter, étant donné le caractère spectaculaire de leur demeure familiale. Elle n'aurait pas été surprise d'y croiser des domestiques, mais Octave lui avait assuré que sa mère tenait à tout faire elle-même.

  « Nous sommes heureux d'enfin rencontrer la copine de notre fils », reprit cette dernière.

  Un frisson parcourut l'échine de la jeune fille, alors qu'elle reportait son regard surpris sur Octave. Il se concentrait sur les champignons dans son assiette sans relever l'exclamation de sa mère.

  Créa se reprit et acquiesça. Elle ne savait pas qu'elle était censée jouer un rôle pendant les semaines à venir. Octave devait s'être rendu à l'évidence qu'elle n'accepterait pas de le couvrir. Il avait eu raison. Elle lui aurait dit d'assumer son homosexualité, au lieu de la camoufler et de ne pas affronter ses peurs. Elle lui aurait dit cela sans être capable d'en faire de même. Créa n'osait, à présent, imaginer la déception de son propre père.

  Les couverts tintèrent entre eux en une mélodie déplaisante. Chacun débarrassa son assiette, tandis que la mère d'Octave allait chercher le dessert.

  La cuisine reflétait tout aussi bien le luxe du domaine que le reste de la propriété. À côté d'un four à pizza, en brique de couleur ocre, un frigidaire disproportionné recouvrait tout un pan de mur. Octave prit les couverts de leur invité pour les ranger dans un lave-vaisselle à la façade quasiment identique du reste du plan de travail. Créa caressa la pierre ocrée et rugueuse. Cette pièce inspirait la chaleur et le sud.

  « Tu as réservé le camion, Octave ? s'enquit sa mère en revenant avec une corbeille de fruit frais et des petits pots de crème.

  — Oui, tout est prêt. Créa m'aidera à faire les cartons demain. »

  Satisfaite, elle servit les quatre verrines, accompagnées d'un coulis aux fruits rouges.

  Le déménagement de leur fils était imminent. Ils profitaient de leurs derniers moments ensemble, avant qu'Octave prenne son indépendance. Il allait vivre dans un spacieux appartement, à quelques rues de l'université. C'était un garçon studieux et il n'avait pas besoin de bourse pour le loyer, il ne ferait pas les mêmes erreurs que Créa.

  « Tu as aussi un appartement en ville ? demanda la jolie femme brune en s'adressant à elle.

  — J'en avais un, répondit la jeune fille dans un raclement de gorge, mais j'ai du le rendre. J'ai passé mon deuxième semestre a étudier à distance. J'avais le mal du pays, si on peut appeler ça comme ça. »

  Elle n'osait avouer qu'on l'avait plutôt chasser de son logement et que, depuis, elle ne faisait que vagabonder entre différents lieux. D'abord, il y avait eu la petite et douillette chambre d'étudiant de Grégoire, puis l'appartement qu'elle partageait auparavant avec sa mère et enfin, ici, ce grand manoir dont elle n'avait pas encore exploré l'entièreté.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant