CHAPITRE TRENTE HUIT

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Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
**
Le Pont Mirabeau - Apollinaire

Judi avait survécu à une noyade bleue. Il ne se souvenait pas du terme exact employé par les blouses blanches, mais ses recherches sur le sujet l'éclairaient. Il savait désormais tous des stades de son asphyxie, de sa grande hypoxie, de sa perte de conscience et du ralentissement de son rythme cardiaque.

Il voulait en apprendre plus encore. L'ordinateur posé sur ses genoux, il parcourait les moteurs de recherche de long en large.

Sa chambre était plongée dans l'obscurité. Seule une fine lumière de l'extérieur perçait dans les stries des volets. La sonde gouttait silencieusement. Un liquide transparent s'évaporait sous sa peau, là où une aiguille s'enfonçait dans sa chair.

On toqua. Le docteur James rentra, suivi d'une infirmière. Elle défit le pansement qui cachait sa perfusion, changea la poche, repiqua le garçon puis s'éclipsa.

« Judi, peux-tu poser cet ordinateur ? J'ai une chose à te demander. »

Face au regard insistant du médecin, il s'exécuta, curieux.

« Créa n'était pas au courant de ton diagnostic ? »

Judi secoua la tête. Il ne sentait pas coupable. Rien ne l'empêchait d'omettre quelques éléments sur lui-même. Pourtant, il semblait que maintenant sa couverture soit tombée.

« Elle l'est, à présent ? demanda-t-il.

— Oui. »

Il s'en doutait. Il ne pouvait pas le cacher indéfiniment. Il aurait bien aimé, cependant.

« Elle voudrait en savoir plus. Comme toi, affirma le psychiatre en désignant l'ordinateur. Tu es d'accord pour que je lui en parle ?

— Je pourrais la voir après ? »

Le docteur James sourit.

Judi ne lui en voulait pas d'avoir dévoilé son secret.

« Je pense pouvoir arranger ça. »

**

Il faisait chaud, beaucoup trop chaud pour un mois de juin. La ventilation du cabriolet soufflait toujours cet air humide qui ne rafraîchissait pas la température. La jeune fille dut en sortir pour tenter de se refroidir dans les eaux du lac. Elle y trempa ses pieds nus.

Un livre attendait sur le rocher à ses côtés. C'était celui qui prenait la poussière dans sa boîte à gants. Il appartenait à Judi.

Elle l'attrapa.

Une petite photographie fendait la multitude de pages. Créa en avait déjà lu la moitié. L'histoire mettait en scène les pensées délirantes d'un jeune garçon schizophrène. On s'y prenait rapidement au jeu, jusqu'à ne plus savoir distinguer le rêve de la réalité.

Le temps se couvrit. Les nuages masquèrent le soleil.
Les derniers mots du roman disparurent derrière les remerciements.

Créa venait de le finir. Le garçon du livre semblait s'en sortir, mais cette fin était éphémère. Il savait que ça reviendrait. Ça ne disparaissait jamais vraiment.

« Créa ? »

Elle releva les yeux du livre. Des larmes roulaient sur l'arête de son nez et perlaient sur son menton.

« Oh mince ! Je te laisse, si tu veux, s'exclama la jeune fille qui l'avait interpellé.

— Non, ce n'est rien. Qu'est-ce que tu veux, Lutine ? »

Elle essuya son visage rougi pour faire face à son ancienne amie.

« Comment vas-tu ?

— Super ! sourit la jeune fille. Je lisais seulement un livre triste. »

Créa renifla. Elle tripotait le bouquin, nerveuse par la présence de Lutine.

« J'ai parlé avec Grégoire, lâcha cette dernière. Il m'a dit que tu étais une fille bien et que je devrais te pardonner. »

Elle émit un petit rire étouffé.

« En réalité, je le savais déjà. C'est pourquoi je suis là. »

Créa resta silencieuse pendant que Lutine hésitait à continuer.

« Je ne suis pas sûre que ce soit ce que tu souhaites entendre là, tout de suite. Mais j'aimerais... »

Elle n'acheva pas sa phrase. Créa venait de balancer son corps vers le sien pour la serrer dans ses bras.

L'étreinte délicate de son amie lui avait manqué. Elle s'en imprégna. Des souvenirs lui revenaient en mémoire. Bizarrement, elle ne les regardait plus d'un mauvais œil. Ils s'apparenteraient désormais à quelque chose de lointain, laissé derrière, pour mieux en reconstruire d'autres. Le temps avait coulé sous les ponts.

« Merci, murmura-t-elle, reconnaissante. Je n'aurais jamais dû agir comme je l'ai fait l'été dernier.

— Tu as ta propre manière de gérer la peur de l'inconnu. Si tu savais, se mit à rire Lutine, le nombre de fois où j'ai pensé faire comme toi, tout abandonner, tout envoyer valser. Mais je ne pouvais pas me résoudre à rester seule. C'était un été pourri sans toi, d'ailleurs.

— Je n'étais pas vraiment seule, déclara Créa malicieusement. J'ai rencontré un garçon.

— Ici ? Je le connais ? »

Créa relâcha Lutine dans un rire, avant de secouer la tête. La jeune fille rayonnait sous le ciel masqué. Elle sentait un poids se libérait de sa poitrine.

« Il te plaît ?

— Je crois », rougit-elle.

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Coucou ! J'espère que vous allez bien ! Encore deux chapitres, l'épilogue et l'histoire touchera sa fin. Je prends mon temps pour écrire cette fin, car en réalité je n'en ai pas vraiment envie.
Créa et Judi m'ont guidé et accompagné pendant deux ans. C'est dur de les laisser partir. Mais il faut que j'apprenne à faire comme Créa : voir le passé non pas comme un ennemi, mais comme un ami.
Gros bisous.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant