La portière claqua sous la force du vent et fit sursauter Créa. Elle était restée un instant, figée devant la résidence étudiante, scrutant une petite fenêtre au quatrième étage. L'immeuble était haut et devait contenir plus d'une centaine d'étudiants. La structure était moderne et les murs en tôle multicolore contrastaient avec les bâtisses anciennes du quartier. Elle passa la porte d'entrée vitrée et atterrit dans la salle commune, où un match de baby-foot faisait élever les voix fortes des joueurs.
Elle prit la direction des escaliers, avant de se plaquer brusquement contre la paroi froide pour laisser passer un groupe de filles. Surement en retard pour leur premier cours de cette matinée, elles dévalaient les marches précipitamment, une housse d'ordinateur à la main. Des effluves de parfums bons marchés et de poudre de maquillage chatouillèrent les narines de Créa, lorsqu'elles disparurent dans la rue.
La jeune brune reprit son ascension jusqu'au quatrième étage et arriva sur le palier complètement essoufflée. Il devait y avoir cinq ou six portes dans ce couloir, mais ses pas savaient parfaitement où se diriger. Elle s'arrêta devant celle qui faisait l'angle, avant de respirer un grand coup. L'air gonfla sa poitrine et elle expira bruyamment.
Elle n'hésita pas plus longtemps et frappa lourdement sur le bois.
Un bruit de chaîne retentit de l'autre côté et la porte s'entrouvrit. De petits yeux foncés la scrutèrent, avant de s'agrandir d'étonnement. Ils la détaillèrent de haut en bas, s'attardant sur la silhouette de ses hanches. Grégoire apparut le torse nu, un boxer lui tombant sur les hanches, un sourire incandescent dessiné sur le visage. Ses cheveux noirs se dressaient sur sa tête et une mèche venait assombrir son front. Il se frotta agressivement les yeux, comme s'il n'en revenait pas de la voir là.
« Merci d'être venue », dit-il sans la quitter du regard.
Elle soupira, exaspérée, puis força le passage vers l'intérieur de la petite chambre étudiante. Grégoire la laissa faire, tandis qu'il s'appuya sur le rebord d'un mur pour l'observer retourner toutes les fringues étalées au sol. Munie d'un sac de sport encore vide, elle récupéra tous les jeans et soutiens-gorges qui jonchaient le carrelage mordoré. Une odeur d'herbe chatouilla les narines de Créa et elle attrapa le joint, encore fumant, qui trônait sur un cendrier posé au bord de la fenêtre. Elle tira dessus, avant de le reposer dans un mouvement abrupt. Elle passa ensuite à la salle de bain, où sa brosse à dents l'attendait au bord de l'évier.
La fermeture du sac semblait sur le point de craquer, mais elle réussit tout de même à le fermer. Elle le balança sur son épaule et revint dans la pièce principale, où la télé diffusait une émission de cuisine. Elle s'arrêta là. Son raffut se calma et elle se mit à observer les petites images défiler.
Grégoire voyait sa respiration s'adoucir, les mouvements de son dos se faisaient plus lents, plus intenses. Elle n'était pas obnubilée par la pièce montée, ni la charlotte aux fraises, qui trônaient sur un plateau argenté. Elle était en train d'hésiter.
Son regard frappa celui-ci du garçon. Leur échange était intense, brûlant, épineux. Il était dur pour chacun de trouver la force de ne pas détourner les yeux.
« Salut », lança-t-elle en agrippant l'épaisse anse de son sac.
D'un pas rapide, sans se retourner, elle passa devant lui pour traverser l'encadrement de la porte, encore grande ouverte. Elle avançait bien trop nerveusement pour que le jeune homme ne se doute de rien. Il la rattrapa de justesse dans le couloir, effleurant sa main libre.
« Attends, tu peux pas partir comme ça ? s'exclama-t-il, un air suppliant sur le visage.
— Si, c'est exactement ce que je suis en train de faire. »
Elle essayait de donner un ton assuré à sa voix, mais le tremblement de ses doigts trahissait sa nervosité. Il les tenait encore fermement dans sa paume, l'empêchant de fuir. Sa peau était douce malgré les petites crevasses creusées par le froid. Ses joues rougissaient, ses cheveux partaient un peu sur le côté et ses habits n'étaient pas vraiment accordés, mais il ne pouvait s'empêcher de s'émerveiller.
« C'est toi qui m'as demandé de te laisser, se lamenta-t-il.
— Je sais, susurra Créa.
— C'était un prétexte pour me quitter ? Tu savais que j'avais de la beuh sur moi. Je ne pouvais pas t'attendre. »
Il avait lâché sa main et s'était dangereusement rapproché d'elle. Dans ce couloir exigu, un froid aigre régnait, faisant frissonner les jambes nues du jeune homme. Créa agrippa à son tour le bras de Grégoire, comme désolée de le voir ainsi.
« Je ne pouvais pas rester avec toi, sanglota-t-elle. Tu me tirais du mauvais côté.
— J'hallucine », souffla-t-il en se dégageant de son emprise.
Ses doigts se perdirent dans ses mèches noires et épaisses. Il baissa les yeux pour fuir son regard, tanguant sur lui-même. La jeune fille laissa tomber son sac au sol et un bruit sourd résonna dans la cage d'escalier. Elle voulut le toucher mais il recula encore.
Il tourna les talons et se dirigea vers le petit réfrigérateur qui trônait à côté d'une table, dans les quelques mètres carrés de la chambre. Il secoua une bouteille de lait vide, avant de la balancer à la poubelle dans un juron.
Créa l'avait suivi et se tenait derrière lui, sans dire un mot. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait encore là. Elle devrait déjà avoir claqué la portière de sa voiture et être sur la route du retour, mais quelque chose la retenait.
« Tu as maigri, dit-il le visage toujours enfoui dans son menton. Tu vas bien ? »
Elle acquiesça douloureusement, cherchant à accrocher ses pupilles foncées.
« Une dernière fois », supplia-t-elle.
Il releva subitement les yeux sur elle et la dévisagea sans pudeur. Il cherchait la faille, n'en croyait pas ses oreilles. Son regard pétillant attendait le feu vert. Grégoire comprit qu'elle ne rigolait pas. Il se précipita sur la porte d'entrée pour la fermer à clé, agrippa son briquet perdu dans les draps défaits de son lit, et sortit une bouteille remplie d'un liquide brunâtre d'un placard de la cuisine.
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Crépuscule sous les étoiles
Teen FictionCréa refuse de grandir. Le lycée est fini et il ne lui reste plus qu'à goûter à la vie étudiante. Mais son aveuglante nostalgie l'incite à couper les ponts avec tous ses amis. Seule pour son dernier été dans son village natal, elle se lit d'amitié a...