SEPTEMBRE - CHAPITRE DIX

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On l'avait déposé tôt ce matin-là.  Le lycée et ses longs couloirs bordés de jaune poussin accueillaient Judi dans un bruit de sonnerie stridente, mais pas désagréable. Son sac sur le dos, il traversa rapidement la cour et se dirigea vers l'intérieur des bâtiments. Il ne releva pas les yeux du sol de peur de croiser un autre regard que le sien. Il s'y autorisa seulement une fois seul, enfermé derrière la porte d'un toilette. Sa main tremblait et le papier qu'il tenait aussi. Son emploi du temps y était inscrit. Des chiffres entiers indiquaient le numéro des salles de cours. Ça le rassurait un peu.

De sa poche, il sortit son paquet de cigarette, puis se rappela que c'était interdit dans les établissements publiques. Il le rangea et attrapa finalement sa plaquette de cachet. Un groupe de lycéen entra et Judi recula dans sa petite cabine, heurtant doucement la cuvette. Ils discutèrent de quelques filles, devant l'urinoir, annonçant laquelle leur faisait le plus de charme. Lorsqu'ils partirent, Judi lâcha ses pilules dans l'eau stagnante et tira la chasse. Il était temps de devenir un adolescent normal.

Un peu perdu, la main passant souvent dans ses cheveux à cause du stress, il chercha sa salle. Il fixait les numéros, plutôt que les gens, mais il ne pouvait s'empêcher de dévisager quelques jeunes qui se trouvaient sur son passage. Personne ne le remarquait avancer, ni ne le regardait bizarrement. Il passait complètement inaperçu et ça lui plaisait.

Cet environnement lui semblait familier, mais aussi inconnu, comme si quelque chose manquait à son inconscient. Il se revoyait au collège. Comme il était heureux d'avoir des amis, à cette époque. Il imaginait alors la chevelure brune onduler devant lui, laissant échapper des effluves de shampoing odorant et d'herbes mouillées. Il entendait ses baskets résonner dans ses pas. Il voyait son sourire s'échafauder dans le sien sur le reflet de la vitre mal lavée. Il aurait aimé qu'elle soit l'amie qui l'accompagnait aujourd'hui pour son entrée en terminale.

La porte était ouverte. Des lycéens étaient déjà installés. Il entra et prit place au devant de la classe.

De nombreux regards se posèrent sur ce nouvel élève arrivé de nulle part et, pourtant, de partout. Les questions redoublèrent quand ils surent que ce n'était pas un déménagement, ni un divorce ou qu'importe puisque Judi évitait la question. Mais qu'est-ce que ce pauvre garçon, au paquet de Camel dépassant de la poche arrière, venait faire ici ?

Aucun d'eux ne connaissait Judi, le vrai Judi. Sanders et Andréa, les victimes de l'ancien Judi, avaient quitté le lycée, comme Créa. Il pouvait recommencer. Un vrai départ, avec des regards timides, puis des sourires francs et quelques paroles échangées entre deux cours. Plein de nouvelles perspectives dans les yeux, il avançait sur la route de son avenir. C'était la première fois qu'il allait si vite, que tout semblait prendre un sens. Comme si le jaune canari des murs -ou poussin, si on était pointilleux- réchauffait d'un baume d'été le vide qui s'était creusé dans sa vie. Et, tout ça grâce à un bus raté et une décapotable rouge ne roulant pas vraiment droit.

**

Dans la foulée des cours, il rejoignit Jean sur les marches de la mairie. Judi était excité de lui raconter sa première journée. Il lui décrivit les gens de sa classe, le professeur de français et sa moustache bien taillée, ainsi que le costume qui moulait les formes de la professeur de mathématiques.

« Et les jolies filles ? s'enquit Jean en rigolant aux paroles de son ami.

— Il y en a quelques unes, mais aucune ne surpasse... »

Son nom était inutile. L'image de la belle brune, prénommée Crépuscule, apparut dans l'esprit des deux jeunes garçons.

« Regarde ! s'exclama Jean en dirigeant l'écran de son téléphone vers Judi pour changer le sujet de la conversation.

— C'est toi et Seb ?

— T'as vu le nombre de vues ?

— Ils s'amusent de vos bêtises. Plus le nombre de vues augmentera, plus il y aura d'idiots sur ta vidéo. »

Jean s'apprêtait à répliquer quand Seb fit son apparition, claquant l'épaule de son ami d'une main tenace.

« Alors ton rendez-vous, mon pote ? »

La discussion s'engouffra sur la performance exceptionnelle de Seb ayant embrassé la fille qu'il convoitait, résignant Jean à repenser aux paroles de Judi tandis qu'il fixait toujours son écran, qui depuis, s'était éteint.

« Tu devrais te lancer toi aussi au lieu de répéter que Seb est courageux, lança Jean d'un ton accusateur et sans prévenir. »

Ce sermon touchant au plus profond de la vérité que cachait Judi, l'acheva de toute parole. Il prit son sac encore rempli de bouquins de science et sous les yeux de ses deux compatriotes, rentra chez lui d'une démarche qui traduisait la décision qu'il venait de prendre.


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Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant