CHAPITRE NEUF

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Les hautes herbes griffaient les mollets nus des trois garçons. Ils avaient fait l'effort de quitter leurs joggings pour des shorts en jeans. Ils traversaient les champs, guidés par la seule lumière de leurs téléphones. Les murmures du sous-bois, qui s'était éveillé à la nuit tombée, les accompagnèrent pour un bout de chemin. Le vrombissement d'une voiture sur un chemin en terre s'éleva dans les ténèbres, éclairant brièvement leur visage peu serein.

Ils avançaient à la file indienne, sans un mot. Ils n'avaient pas l'habitude de quitter le skate-parc, qui leur servait de planque face au reste du patelin, face au reste du monde. Mais cette soirée était spéciale. Ils se rendaient chez Créa. Elle allait rencontrer Jean et Seb.

Le mois d'août s'était profilé à toute vitesse et il semblait à Judi que le temps prenait enfin une certaine ampleur. Habitué au confort de chez lui, il ne lui restait plus que quelques semaines pour se faire à l'idée qu'il allait enfin découvrir le lycée. Ce soir, il l'annoncerait à Créa.

Les trois compères arrivèrent sur un chemin sombre et s'aventurèrent aux abords d'une vielle ferme.

« On est chez le vieux Maurice, chuchota Jean aux deux garçons. Faites attention, j'ai entendu dire qu'il avait pris un chien de garde pour ses ânes. »

Ils s'enfonçaient dans la gadoue à chaque mouvement, crottant leurs chaussures et tachant la peau de leurs chevilles. La sensation était froide et humide. Plus ils avançaient, plus la boue séchée les alourdissait.

« On était obligés de passer par là ? râla Seb.

— C'est plus rapide, maugréa Judi.

— Chut ! » les reprit Jean.

Trop tard, ils entendaient déjà au loin des aboiements.

Dans l'affolement, ils décampèrent à toute allure, s'éclaboussant jusqu'au visage. Seb criait d'adrénaline, Jean fonçait sans se retourner, Judi sentait ses muscles chauffer. Ils naviguaient à vue, plus aucune lumière ne leur montrait le chemin. Ils se guidaient par le son moelleux de leur course, jusqu'à que le sol se transforme en béton et que le béton se transforme en route.

Ils y étaient. Ils étaient arrivés. Le souffle lourd et bruyant, les vêtements salis, ils se tenaient devant l'adresse que Créa avait indiquée à Judi.

Elle n'habitait pas dans un immeuble à proprement parlé. C'était plutôt une maison de village sur plusieurs étages, partagée en trois paliers. L'extérieur devait rayonner en plein jour, pensa Judi, avec sa façade en pierres de taille et son lierre grimpant.

En ligne sur le trottoir, ils admiraient la vieille demeure éclairée par un simple réverbère, quand une lumière apparut au deuxième étage. Créa leur faisait signe d'entrer depuis sa fenêtre, un sourire aux lèvres.

Ils approchèrent de la vielle porte en chêne et s'engagèrent dans la cage d'escalier. À l'intérieur, une odeur d'ancienneté se dégageait du dallage en béton et de la rampe vernie.

Avant de sonner, Judi se tourna vers ses amis, l'air soucieux.

« Vous promettez de ne rien dire ?

— On te le jure ! déclara Seb, tandis que Jean acquiesçait.

— Merci. »

Sa voix tremblait, son ventre se nouait, il sentait ses mains devenir moites. Judi n'était vraiment pas confiant lorsqu'il appuya sur la sonnette. Il ne savait pas à quoi s'attendre. Tout pouvait arriver ce soir.

« On n'est vraiment pas présentable comme ça », se mit à rire Jean en pointant du doigts la boue qui entourait le postérieur de Seb.

Ce dernier s'épousseta le short, avant que la porte de l'appartement ne s'ouvre.

« Salut », les accueillit Créa.

Jean et Seb détaillèrent la jeune fille de haut en bas. Elle brillait dans sa tunique foncée et ses petites baskets bleues. Les joues rosies, les cheveux ondulants légèrement dans son dos, les cils maquillés, elle possédait cette beauté qui n'était visible seulement dans les détails.

Judi souriait à sa vue. Il se sentait heureux de la revoir. Toutefois, l'oppressante tension qui nouait son ventre ne disparut pas. C'était une étrange sensation mais il commençait à la connaître. Elle apparaissait souvent au contact de Créa.

« Entrez », les invita-t-elle.

Les deux garçons lui passèrent devant pour découvrir l'humble appartement de Créa et sa mère. Une boule de poils noirs les accueillit en se frottant à leurs jambes pleine de terre.

« Je suis contente que vous soyez venu, confia Créa à Judi, tandis que lui aussi s'avançait dans le salon.

— Merci de nous avoir invité.

— On peut le caresser ? les coupa Jean en attrapant déjà le gros chat noir dans ses bras.

— Milly n'aime pas vraiment les câlins forcés », le prévient Créa.

En effet, elle se débattait à coup de griffes pour qu'on la repose sur le sol. Les oreilles en arrière, elle repartit d'une démarche gracieuse vers les chambres, sûrement pour aller se coucher.

« Oups. »

**

(22/03/2020)
Hello ! Une suite à ce chapitre arrive prochainement. Je ne vous ferais pas trop attendre, c'est promis. Je vous embrasse et j'espère que ce prélude à cette nouvelle soirée d'août vous plaît. À bientôt.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant