Il semblait manipuler la folie à la demande
Olievenstein - Il n'y a pas de drogués heureux
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Il y avait comme un air marin qui s'échappait des crachats du moteur, lorsqu'ils furent sur le chemin du retour. L'impression d'être en pleine tempête loin des rivages, submergé par l'angoisse naissante, déboussolait Judi. Il avait le mal de mer, son oreille interne perdait le fil et tout son corps se tendait au son grésillant de la radio. La nouvelle ne l'avait pas tant ravi que ça finalement. Il flippait, comme en délire sous l'effet d'une drogue, comme accroché aux flammes brûlantes d'une illusion qui crépitaient avec la même sonorité qu'un pas s'enfonçant dans l'éclat dur de la neige. De petits bruits de fissures, accompagnant le silence. Et si tout se remettait en question, changeait d'angle et perdait son sens ?
« Je ne veux pas y aller », dit-il soudainement.
Une rafale de rationalité venait de s'écraser sur lui, faisant s'envoler toutes ses espérances. Le lycée, ce n'était pas ce que Créa lui avait montré. Les regards curieux, menaçants, étonnés, apeurés, de travers, allaient se déverser sur lui sans qu'il ne puisse empêcher la cascade de couler. Le nouveau se retrouverait au centre de l'attention pendant quelques semaines, avant de se faire oublier dans un coin de la cour. On allait l'oublier, lui qui se sent prêt à renouer avec les autres.
La femme en tailleur bleu soupira, alors qu'elle entamait son créneau.
« C'est trop tard, Judi. »
Il sortit de la voiture, avant même que le moteur ne se coupe. Sa démarche était maladroite, il avançait avec précipitation et colère jusqu'à la cage d'escalier. Il se mit à courir, en vain, pour échapper au sermon de sa mère, sans penser qu'elle seule détenait les clés de l'appartement. Elle arriva quelques secondes plus tard à ses côtés, attendant qu'il arrête de tambouriner sur la porte pour s'approcher de la serrure.
A peine fut-elle ouverte, qu'elle s'effondra dans un claquement sur le mur de l'entrée. Les lourds pas de Judi résonnèrent dans l'escalier et un hurlement brutal fit trembler le plan de travail où sa mère s'affairait à ranger les papiers du médecin. Un long silence embauma l'espace avant que de multiples objets viennent s'exploser sur le mur de la chambre du jeune garçon. Les pieds de sa chaise de bureau se fendirent. L'écran de son portable se fissura. Ses poings s'abattaient sans relâche dans le parpaing recouvert d'une peinture blanchâtre. On ne percevait même plus la courbe de ses phalanges lorsqu'il dévala les marches une à une, courant presque, pour se dresser devant la femme qui se tenait à présent dans le salon.
« Tu ne me fais pas peur, tu sais », dit-elle calmement.
La figure du garçon rougissait de rage, tandis que son sourcil gauche tremblait sous le poids de la nervosité. Son visage se déformait au fur et à mesure qu'il observait sa mère.
Ils allaient l'oublier, Créa et eux. Judi se perdrait dans l'agitation incessante du lycée et plus personne n'arriverait à le retrouver.
« Ne m'oblige pas à y aller », déclara-t-il d'une voix puissante.
Elle soupira bruyamment, cherchant une échappatoire à la crise de violence qui se préparait. Il fallait qu'elle gagne du temps. Son mari ne devrait pas tarder à rentrer.
« Il faudra bien que tu y retournes un jour ou l'autre, Judi. »
Il secoua la tête nerveusement de droite à gauche, murmurant une objection presque douloureuse. Ses yeux s'étaient fermés, on aurait dit qu'il essayait de se convaincre d'une chose, comme tourmenté par le fossé entre ses rêves et la réalité. Doucement, il releva la tête, laissant apparaître les petits vaisseaux sanguins qui transperçaient et tambourinaient la chair de son front au rythme de ses gémissements. Les poings refermés, il commença à parler plus distinctement, tout en rouvrant les yeux pour la fixer d'un regard menaçant.
« Je ne veux pas y aller, répéta-t-il. Je ne veux pas y aller. »
Sa mère, toujours assise sur le canapé, l'observait sans être impressionnée. Elle attendait.
« Je ne veux pas y aller », s'emporta-t-il alors en agrippant l'écran de télévision derrière lui qui s'écrasa, quelques secondes plus tard, contre la baie vitrée.
Les câbles arrachés grésillèrent. Ce qui n'empêcha pas Judi de détruire à coup de pied le support en bois, qui contenait toutes les cassettes de dessins animés qu'il regardait plus jeune. Il le piétina violemment, sous les yeux désormais moins sereins de la femme devant lui. L'habitude n'avait pas estompé le caractère impressionnant des crises de son fils. Les bruits de verre n'avaient jamais été aussi crispants qu'à ce moment.
Il prit plaisir à l'effrayer, prenant son rôle de monstre enfin concrètement. Il jouissait de cette répulsion des autres, de sa mère, qui avait porté une main à son visage apeuré. Il l'obligeait à regretter d'avoir donné naissance à une telle créature.
« Tu as pourtant accepté devant le docteur James ! » cria-t-elle dans la panique.
Le souffle court, il agrippa les fines épaules de sa mère recouvertes d'un simple haut à bretelles. Son teint livide ne le fit pas reculer. Il se courba lentement pour que leur visage se fasse face. Les pupilles noires de Judi détaillèrent avec dégoût l'être devant lui. La peau blanche de cette femme, masquée sous une couche épaisse de fond de teint, et ses yeux bruns entourés d'un fin trait de crayon noir lui semblèrent si familiers et, pourtant, si répulsifs. Il pouvait sentir son corps trembler sous ses mains.
« Je ne veux pas y aller », répéta-t-il encore, mais plus calmement cette fois.
Il desserra la pression qu'il exerçait sur les épaules chétives de sa mère, laissant quelques traces de sang sur son t-shirt et quelques marques d'un rouge pastel sur sa peau. L'angoisse redescendait. Les traits de son visage reprenaient leur charnelle innocence. Il commençait à se calmer lorsqu'un lointain bruit de serrure lui parvint et une voix masculine s'éleva dans l'atmosphère lourde de l'appartement.
« Qu'est ce qu'il se passe ici ? »
On agrippa brutalement Judi pour le plaquer contre un mur. Sa nuque le fit souffrir lorsque son corps rebondit sur la paroi froide. Un bras poilu le maintenait collé au crépis blanchâtre.
« T'as envie de te refaire interner, mon garçon ? » le menaça son père.
La colère revint et s'insinua dans tout son être pour s'extirper en un cri animal. Il grognait face à cet être qui venait de faire resurgir son angoisse.
« Le docteur a dit qu'il pouvait reprendre une scolarité normale », expliqua sa mère en se relevant difficilement.
Oublié, il ne serait plus qu'un enfant oublié au fond de la cour.
« Où sont ses cachets ? » cria-t-on, sans que Judi ne distingue la voix.
Sans prévenir, les dents du jeune garçon s'enfoncèrent dans l'avant-bras de son père. Sa mâchoire se contracta au contact de la peau rugueuse. Un filet de sang presque imperceptible s'échappa de la morsure avant qu'une claque violente le fasse reculer. L'emprise exercée sur lui, à présent relâchée, lui permit de s'enfuir. Il ne voulait pas qu'on le ramène à cet hôpital, pas celui où on le force à prendre des bonbons. Ses pieds s'emmêlèrent dans l'escalier, il mit un genou à terre, puis se releva difficilement à l'aide de ses mains ensanglantées. Il verrouilla la porte de sa chambre derrière lui avant de se replier dans un coin sombre de la pièce. Ses genoux venaient s'écraser contre sa poitrine tandis que tout son corps se balançait au rythme de ses chuchotements.
Le jaune embruma ses pensées. Il percevait ses mèches brunes décoiffées qui tombaient sur ses yeux. Et si c'étaient celles de Créa ? Il passa une main dans sa chevelure, ferma les yeux et l'imagina à ses côtés.
« Je vais y aller, répéta-t-il. Je vais y aller. »
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Crépuscule sous les étoiles
Ficção AdolescenteCréa refuse de grandir. Le lycée est fini et il ne lui reste plus qu'à goûter à la vie étudiante. Mais son aveuglante nostalgie l'incite à couper les ponts avec tous ses amis. Seule pour son dernier été dans son village natal, elle se lit d'amitié a...